Chapitre 1 - Le début et la fin (3)

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Elle ne savait pas exactement quand cela avait commencé. Tout simplement, elle était née dans ce chaos. Chasseurs et pourchassés. Les uns pour se repaître de sang, de chair ou de malheur, les autres pour éviter les coups, les larmes ou même la mort. Tels étaient les habitants du Ghetto. La souplesse et l'agilité d'Alyss trahissaient de longues années passées à fuir dans les ruelles. Ses muscles fins et tendus étaient rompus à la course, mais son être restait brisé par une vie sans réconfort. Ses parents devaient l'aimer, certes, mais ils l'avaient élevée à la dure. Ou, plutôt, ils l'avaient laissée se frotter seule aux rochers du tell.

Au début, il y avait bien eu des brimades. De celles que les enfants cruels déversent par seaux sur leurs camarades plus petits et plus frêles, ou peut-être tout simplement plus dociles. Les adultes savaient très bien insuffler à leurs marmots le goût pour la bêtise. Très tôt, Alyss avait fait partie des victimes. Mais sitôt qu'elle eut treize ans et que son surnom eut été révélé, la violence des agressions à son endroit augmenta de jour en jour.

Ses pieds l'avaient entraînée dans la ville basse, faite de cabanes encore plus miteuses que celle habitée par sa famille au niveau 9. Encore un peu, et la jeune fille se serait retrouvée dans les bas-fonds, la section sans numéro. Un endroit dans lequel elle ne voulait pas retourner. Alyss avait encore en tête une partie de cache-cache qui avait mal tourné. Arrivée à la fin d'un interminable décompte, elle avait cherché en vain les autres enfants pendant un temps infini, avant de découvrir qu'elle était seule. Le jour était tombé. Tous étaient rentrés chez eux. Même Telm. Elle s'était perdue dans les bas-fonds du Ghetto, un lieu incertain pour une gamine de neuf ans. Alors que des regards avides avaient commencé à se jeter sur elle, une poigne d'acier lui avait saisi le bras. « Rentrons. » La morale que lui avait faite son père sur le chemin de la maison ne fut rien en comparaison de ce que sa mère lui avait réservé à son retour. Alyss savait à quel point il lui avait sauvé la mise. Une fois de plus.

Alyss était un peu désorientée. Les cris s'étaient tus, mais le silence implacable sous le soleil de plomb, au-delà de la zone de pénombre dans laquelle elle se trouvait, ne lui inspirait pas confiance. Sa peau humide frissonna sous le vent frais. Grelottante, elle slaloma entre les cours, où régnait une odeur fade, mélange d'eau croupie et de merde. La jeune fille ralentit pour feutrer son pas. Ses jambes, droites comme des cannes, menaçaient de la lâcher après l'effort consenti. Elle commençait aussi à avoir faim. Regardant tout autour d'elle, Alyss s'aperçut qu'elle était coincée dans une impasse étroite aux parois élevées et moisies.

Des bruits de pas se rapprochaient. Une voix.
— Où est-ce qu'elle est passée, cette petite pute ?
Le Singe. Un murmure pour lui-même. S'il était descendu aussi bas dans le Ghetto, c'était qu'il tenait à la victoire. Alyss vit son profil se découper à contre-jour lorsqu'il dépassa l'impasse dans laquelle elle était piégée. Pas d'échappatoire.

Rêves d'UticaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant