Chapitre 2 - Alyss remonte la pente (9)

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— Alyss, Alyss, réveille-toi, bon sang !

Ses yeux se révulsèrent sous le coup des horreurs ressenties. Sans parler de la gifle que son père venait de lui donner. Une sueur froide couvrait la peau de l'adolescente, la faisant frissonner. Elle s'aperçut qu'elle se trouvait affalée dans l'angle métallique d'un wagon en mouvement.

La jeune fille leva la tête. Un vieillard aux yeux mornes faits d'acier gisait mort à côté d'elle, une bave rougeâtre aux lèvres. La moiteur qui régnait dans la rame était insupportable. Plusieurs dizaines de personnes, des hommes, surtout, mêlaient ici leurs odeurs fatiguées de fin de journée dans le caisson en métal. La plupart étaient restés indifférents au sort d'Alyss et regardaient plutôt le corps du Promeneur. Mais si les superstitieux s'étaient détournés et invoquaient une divinité quelconque, certains jetaient à l'adolescente des regards assassins.

Alyss osa lever les yeux vers son père. Sur sa mine incrédule régnait un mélange de stupeur et de crainte. Un ronronnement discret l'attira. Elle n'eut que le temps d'apercevoir l'arrière rutilant d'un mécafard de contrôle qui disparaissait entre les tôles disjointes du plancher. Depuis qu'elle avait ses biopuces vissées dans la tête, c'était pire qu'avant. Il lui semblait que tout ce qu'elle pensait voir arrivait. Sous une forme ou une autre.

— Faudra que tu nous expliques, l'Artificier, comment ta gosse a failli se faire griller alors qu'elle n'était pas reliée... En tout cas, le Promeneur, lui, l'a pas eu la chance d'en réchapper.

L'Artificier ne sut quoi répondre. Il perdait le contrôle de la situation. Il commençait à voir des regards en coin et des dos qui se tournaient sur des chuchotements contestataires. C'était vrai qu'elle était spéciale, quand même, sa môme, avec ses crises à la con. C'était une gentille gosse. Elle faisait ce qu'elle pouvait avec ce qu'elle avait, dans un Ghetto plutôt hostile à ceux qui ne rentraient pas dans le moule.

— Foutez-lui la paix, bordel ! La môme n'a rien à voir avec tout ça !

Alyss n'en menait pas large. Recroquevillée dans son angle, elle parait les regards les plus hostiles avec sa capuche. La jeune fille se demandait encore si ce qu'elle venait de voir à travers le vieux était vrai. Elle surprit un éclair de colère et de chagrin dans les yeux de son père, qui était toujours agenouillé entre elle et le Promeneur. Il venait de perdre un ami, un allié, un protecteur. Il avait aussi failli perdre sa fille. Mais s'en rendait-il compte ? L'Artificier se redressa subitement et coupa court aux polémiques. Il reprit son uniforme de meneur en gueulant par-dessus la mêlée. Il claquait des ordres secs, demandant aux répareurs de s'occuper du mort dignement, de récupérer ce qu'ils pouvaient, comme il était d'usage dans le Ghetto, mais de ne pas toucher à la chair. Il confia enfin aux reliés de faire redémarrer le funiculaire, qui avait calé avec le grillage du vieux.

Le restant des manifestants se tenait tassé dans le fond du wagon : devant le risque de surcharge de la rame, les ouvriers venaient d'entreprendre la découpe des barres de sécurité pour alléger la structure. Le magnec revint, et, dans le même temps, les portes latérales s'ouvrirent sur le vide, laissant entrevoir la paroi rugueuse de la colline à travers la cage d'acier qui protégeait le train. L'air frais qui s'engouffra fit du bien à tous.

Un débat s'éleva alors parmi les reliés. Le Réseau leur était apparemment devenu hostile, et ils durent tirer à câble-court pour savoir qui se collerait à l'ultime réparation. Après quelques secondes de tergiversations sous les huées de leurs compagnons d'infortune, ils décidèrent de se brancher en dérivation au tableau de la rame. Mis à trois en parallèle, ils atténueraient ainsi le flux magnécique et nerveux. À peine une châtaigne corticale, avant de poursuivre leur chemin dématérialisé à travers le Réseau. Un pourvoyeur fournit les outils qui servirent à effectuer quelques réglages avant le branchement crânien. Les yeux des volontaires virèrent soudain au blanc laiteux, mais ils tinrent bon. Les portes se refermèrent. Le funiculaire redémarra une trentaine de minutes après l'incident, faisant revenir tout le monde au calme. Le colimaçon du parcours se resserra, créant un dévers prononcé dans la rame. Quelques mètres avant la porte 2, la paroi limoneuse se transforma en une surface lisse et luisante : du métal boulonné à la terre.

Puis tout devint rouge.

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