Chapitre 1 - Le début et la fin (11)

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La mère s'exécuta en silence, écrasant une larme furtive d'un revers de manche. En moins d'une minute, elle fit apparaître comme par enchantement un autre sac à dos et une paire de bottines. Le regard étonné d'Alyss passa de ces dernières aux pieds de son père. Les chaussures étaient la réplique exacte de ses bottes à lui, améliorations mécas incluses, mais plusieurs tailles en dessous. La jeune fille releva la tête vers l'Artificier et le scruta d'un air interrogateur.

— Je te les avais commandées pour fêter ta Révélation. Je devais te les donner plus tôt, mais les as-tu un jour vraiment méritées ? grogna l'Artificier en se frottant les sourcils. Et la quincaillerie, là, à l'arrière, ça sert à sauter plus haut.

Alyss ne savait pas si elle devait le haïr de l'avoir privée de ce superbe cadeau pendant tout ce temps, ou bien le remercier de le lui avoir donné quand même. Ces bottes lui auraient bien servi aujourd'hui, au lieu des semelles rafistolées qu'elle se traînait aux pieds !

L'adolescente se chaussa avec appréhension, se doutant de ce qui l'attendait Elle tiqua quand les fines aiguilles des capteurs de pression s'enfoncèrent dans ses plantes de pied, mais elle n'en laissa rien paraître.

— On y va, lui intima son père.
— Un instant, s'il vous plaît !
La Receleuse retira son collier et le passa d'autorité autour du cou de sa fille.
— Mais, maman ! Ton pendentif !
— Ne discute pas, Alyss. Prends-le, c'est tout !

Alyss glissa l'amulette de terre sous sa chemise et se fit serrer très fort dans les bras de sa mère. Elle embrassa son frère et sa sœur.

— Mets ta cape, lui dit sa mère. Il va encore pleuvoir de l'huile ce soir.

Alyss et son père sortirent sous le regard de la Receleuse. Celle-ci referma lentement la porte, dans un soupir qui trahissait à la fois ses craintes et sa résignation. Elle s'appuya contre le chambranle et ferma les yeux, tellement fort que cela lui fit mal. Quand les larmes eurent renoncé à déborder de ses paupières, elle rouvrit les yeux et observa ses deux benjamins, toujours assis sur le tapis. Avec le retour du silence, ils reprirent leurs jeux innocents, comme si rien ne s'était passé. Et cette vision la rassura.

Dehors, le vent continuait de souffler la poussière du tell. Les premiers éclairs lardaient le ciel à l'horizon. Un holodrone de la propagande officielle du GCU, le Gouvernement Central d'Utica, s'arrêta à la hauteur du couple père-fille et projeta son immense réclame en trois dimensions.

Utica, votre rêve à portée de main! susurra une voix de femme aux accents métalliques.
— Foutaises ! lui répondit l'Artificier en brandissant son poing d'acier dans la direction de l'holicône.

Les images montraient une ville incommensurable. Des passerelles végétalisées couraient entre des gratte-ciel faits de rhodolène et de tixtane. Déambulant au milieu d'un bestiaire fantastique, des hommes et des femmes en bonne santé et aux habits colorés et propres souriaient en se tenant par la main.

Utica, reprit la voix, la cité du bien-être éternel. Inscrivez-vous dès maintenant au point de contrôle le plus proche et venez nous rejoindre!

La projection s'arrêta, l'holodrone remballa sa lentille verte et repartit plus loin, où la lumière et le son se répétèrent à l'identique. Chaque soir, à la tombée de la nuit, les holodrones venaient hanter le tell. Alyss s'arrêta, fascinée par leur ballet. Mais la main de son père sur son épaule lui commanda bien vite d'avancer.

— Quand je pense qu'ils veulent nous faire gober ça ! Qui peut croire que c'est aussi simple de partir de ce trou pourri ?

Rêves d'UticaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant