Chapitre 1 - Le début et la fin (6)

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La jeune fille sonda une dernière fois le Ghetto. Les heures plus fraîches de la soirée annonçaient la sortie de ses habitants. Les ruelles s'animèrent. Par-ci tintaient les récipients servant à puiser l'eau pour le lendemain, par-là remontaient les caquètements mécontents de poules transbiotiques que personne n'osait manger et que chassaient du pied les hommes partant pour quelque besogne. Enfin, des piaillements d'enfants émergeant d'une sieste trop longue et imposée émergeaient des cabanes de planches. L'adolescente enviait ces derniers, car ils avaient encore l'âge de l'indifférence. Mais viendrait tôt ou tard le moment où ils devraient prouver leur utilité à la communauté. Sur ces pensées, Alyss se leva en tirant sur ses jambes ankylosées. Elle devait profiter du vacarme ambiant et de la foule des ghettards pour prendre la tangente. Elle s'appuya sur les deux murs au fond de l'impasse et atteignit rapidement les hauteurs.

Cette petite pute ne pouvait pas lui échapper. Mais ce n'était pas avec cette grande niquedouille de Casse-Noisette qu'il allait réussir. Ce dernier avait certes de la poigne, mais il était loin de posséder un cerveau. Le Singe se demanda où avaient bien pu passer les autres. De toute façon, il saurait le leur faire payer quand cette partie de chasse serait finie. Pour en rajouter, il commençait à avoir sérieusement la dalle. Et cela le mettait encore plus en rogne.

— Casse-Noisette, passe par-derrière, lui ordonna-t-il.

Le géant s'exécuta et fit le tour du pâté de cahutes au pas de course. Mieux valait pour lui montrer un peu de cœur à l'ouvrage. Ses grandes jambes lui avaient permis de ne pas trop se laisser distancer par le Singe. Comme tout le monde semblait s'être perdu ou avoir abandonné la poursuite, Casse-Noisette espérait secrètement, mais sans trop y croire, que son zèle à la tâche lui vaudrait quelques faveurs de la part de son supérieur. Un peu de bouffe, du saccharil... Une fille, peut-être ? Se faire payer en nourriture ou en dope, c'était déjà bien, en soi. Mais peloter de la femelle, c'était encore mieux ! Son sourire benêt se figea toutefois lorsque trois autres gamins, qui n'avaient pas cessé de courir, le rejoignirent en crachant leurs poumons :

— On n'arrive pas trop tard... au moins... ? Casse-Noisette ne leur répondit pas.

Alyss entendit le Singe donner ses ordres au fur et à mesure que les voyous arrivaient. Elle était désormais cernée. Elle longea prudemment le mur au bas duquel elle venait de sauter. Casse-Noisette et trois autres gamins venaient à sa rencontre. Elle devait les éviter à tout prix. Mais comment ? La lueur bleue surgit alors du renfoncement d'un mur de l'autre côté de la rue. Si elle m'a aidée une fois, pourquoi pas deux, songea Alyss. Elle voulait vraiment savoir ce qu'était ce bidule, et pourquoi elle ne l'avait jamais vu auparavant, ni en vrai, ni en rêve. Mais pour le rejoindre, elle devait traverser à découvert. Trop risqué. La curiosité l'emporta. L'adolescente prit son courage à deux mains et courut jusqu'au mur.

— Ça y est, on la tient !

Alyss se retrouva acculée. De toutes parts convergeaient ces gamins qui lui voulaient tant de mal. Elle se sentit soudain oppressée. C'était comme si toute la haine engendrée par la frustration de ne pas l'avoir chopée plus tôt se muait en langues avides, rampant au sol pour lui entraver les pieds. Ses harceleurs reprirent leurs cris de rats en rut. Alice se plaqua contre le mur, les bras écartés et le souffle court. Son regard farouche accusait la fatigue. Cela ne peut pas se dérouler ainsi. Elle avait pourtant fait le nécessaire pour ne pas en arriver là. Cette lumière bleue venait-elle de la trahir ? La masse formée par les jeunes délinquants et les badauds attirés par leurs cris s'écarta par le milieu, laissant passer le Singe :

— Tu nous as bien fait courir, la Rêveuse.

Rêves d'UticaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant