6.[Eiji]

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                               Mercredi 5 juillet 2013

Je me sens assez mal à l'aise.
Je viens d'entrer dans la salle de la section spéciale, il est onze heures. , il fait chaud, et l'ambiance est particulièrement étouffante. Tout le monde est occupé sur ses tâches personnelles, et s'active, riant et discutant du festival.
Kuze-kun est assis à la table, l'air profondément concentré, les cheveux relevés, et griffonne sans relâche en lançant des détails à Nakajima-kun, qui esquisse le brouillon de quelque décor innovant pour la pièce.
Les quatre filles sont en groupe dans un coin de la salle et se partagent des morceaux de tissu en tous sens, semblant se mettre d'accord sur telle ou telle chose bien propre à ce qu'une fille remarque sur les vêtements.
Atsuka-kun est occupé à écrire dans un grand carnet. Sans doute les discours d'accueil et les menus. Et au piano, en train d'écrire ses partitions, ses cheveux dans le visage, ses yeux bleus plissés, le regard rempli de concentration, Matsuoka-kun est assis, et semble ne pas me voir. D'ailleurs personne ne me remarque avant que je les salue. Tout le monde me répond par un sourire, et Atsuka-kun vient me chercher pour l'aider pour les menus et les discours d'accueil. C'est le début d'un long travail, qui ne fait que commencer.
Tout le monde semble excité, rapide et efficace. C'est vrai que la semaine prochaine, c'est les tests mensuels. Moi-même, je devrais commencer à étudier. Cette école, c'est pas la même chose que l'ancienne, c'est un autre niveau.
Je m'assieds à côté d'Atsuka-kun, qui m'explique gentiment ce que je dois l'aider à faire.
Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens frustré.
Il n'a même pas levé les yeux, Matsuoka-kun.
Je commence à écrire, lui lançant de temps en temps des regards en coin. Nakamura-san pose ses deux mains sur mes épaules, et je me retourne.
⁃ Oui?
⁃ Mitsukane-senpai! Ça va, tu t'en sors?
⁃ Oui, Atsuka-kun m'explique bien!
Il sourit, et continue son travail.
⁃ Tant mieux alors! Tu veux bien venir ici à 17 heures? Je vais continuer à t'aider à écrire tes discours.
Je me sens assez mal à l'aise quand elle dit ça. Depuis ce moment là, Matsuoka-kun nous évite. Il ne m'a pas croisé ni hier ni aujourd'hui, ne vient pas dans le réfectoire à midi, et semble m'ignorer complètement.
⁃ Je... Je vais venir.
Son visage s'illumine, et me sourit.
⁃ Merci, Eiji.
Le Eiji qu'elle prononce me fait bizarre. C'est vrai, mis à part Shun, personne ne m'appelle Eiji... Et ce que Matsuoka-kun a dit...  Matsuoka-kun qui se lève, referme le piano et sort de la classe, claquant la porte derrière lui.
Je me lève de ma chaise d'un bond, comme si je pouvais faire quelque chose, avant de me laisser tomber à nouveau sur mon siège.
⁃ Senpai? me sourit Atsuka-kun.
⁃ Oui... Tu sais, Atsuka-kun, tu peux m'appeler Eiji.
Je me retourne vers les autres.
⁃ Tout le monde, appelez-moi Eiji! À partir de maintenant, je serai plus présent, alors autant faire ça maintenant!
Finalement, tout le monde se met d'accord pour s'appeler par les prénoms.
Je regarde Atsuka-kun, et je lui souris.
⁃ Nakahira-kun?
⁃ Tu peux dire Nacchi, c'est un peu mon surnom..
⁃ Nacchi... c'est mignon!
Nakajima-kun, ou plutôt Ujihiro-kun, vient me taper sur l'épaule.
⁃ Moi, c'est Jiro!
⁃ Jiro, alors!
Très vite, on se rassemble tous autour de la table. Kuze-kun pose son carnet et me lance:
⁃ Moi, c'est Ryō.
Je hoche la tête.
⁃ Pour ma part, sourit Aoki, en passant une main dans ses cheveux, c'est Kiyoko.
⁃ Kiyo-chan, ça te va?
Elle sourit et roule ses cheveux autour de ses doigts.
⁃ Oui!
Je me dis que pour les autres, ça serait probablement pareil. Alors pour Yuuki-san..
⁃ Yuuki-san, tu veux bien que je t'appelle Tsuki-chan?
Elle me fait un sourire en coin.
⁃ Alors je vais t'appeler Micchan.
⁃ Micchan? Si tu veux.
Saito-san vient près de moi et me dit, tout doucement :
⁃ Appelle-moi Masako, senpai!
⁃ Je le ferai.
Je me sens étrangement bien entouré, au milieu de tous ces gens qui veulent de moi... que je me mets à repenser au passé.
Je les regarde tous, ils sont tous occupés à discuter entre eux, se chamailler, rigoler... Moi, je...
Je n'aurais jamais pu le faire. C'est vrai, si je suis resté à l'hôpital pendant trois mois, c'est bien parce que...
⁃ Eiji!
Je tourne la tête vers la personne qui m'a appelé.
⁃ Mi..Miyako.
⁃ L'heure est bientôt finie. Allons manger!
J'acquiesce, je me lève et alors que tout le monde s'apprête et que je fouille dans mon sac pour trouver ma carte, que j'ai du faire la première semaine quand je suis arrivé, que je commence à me sentir mal.
Ma tête tourne, et j'ai mal au ventre. C'est comme si j'allais vomir.
⁃ Eiji-senpai?
Jiro m'attrape par la manche et me traine en dehors de la salle. Les autres nous suivent, et peu à peu, on se mêle aux autres élèves pour aller manger.
Je fais la file, récupère ma commande, qui, malgré sa bonne odeur, ne fait que de me rendre un peu plus malade.
⁃ On a une table pour la section spéciale, tu sais, me lance Miyako, avant de m'attirer vers une table au fond de la salle.
Nous nous installons tous, à l'exception de Matsuoka-kun, qui lui, n'est pas là. Miyako et Nacchi s'asseyent chacun d'un côté de moi.
Alors que tout le monde commence à manger, je profite de l'occasion pour leur demander :
⁃ Matsuoka-kun.. il ne vient jamais?
Tout le monde lève la tête pour me regarder d'un air étonné. Ryo-kun secoue la tête me répondant :
⁃ Comment dire... il nous évite, et on l'évite aussi... il est plutôt asocial, en fait. Il est...
⁃ Désagréable, lance Miyako.
Pourquoi tout le monde est aussi critique avec lui?
C'est étrange, moi j'ai juste l'impression qu'il est différent, qu'il voit les choses autrement.
⁃ Il me fait un peu peur, avoua Nacchi.
Peur? L'idée me colle un petit sourire sur le visage.
⁃ Tu sais, Nacchi, il est peut-être plus impressionné par toi que tu ne l'es par lui.
⁃ Mais...
⁃ Apprendre à parler avec d'autres personnes quand tu te sens rejeté... c'est...
C'est tellement difficile, les regards effrayés, moqueurs, froids, sur toi, sans que tu ne puisses rien faire, tellement que tu finis par abandonner. Non, je ne dois pas penser à ça. C'est du passé, et Matsuoka-kun n'est pas comme ça. C'est différent, il est différent.
Tellement différent de moi.
Tout le monde avait repris ses petites discussions, et il n'y avait plus que Nacchi qui m'écoutait.
⁃ J'essayerai de lui parler, senpai! Si tu pense que c'est bien, je veux bien le faire!
Je lui fait un grand sourire. Je lui donne une petite tape sur la tête.
Il me fait confiance?
Je me sens à la fois heureux et désolé. Il faut dire que si j'étais lui, je ne me ferais pas confiance.
Je suis tellement.. Je..
Je me déteste.
Et j'ai la nausée.
Je débarrasse mon plat, le posant sur la petite étagère métallique prévue à cet effet, bientôt imité par pas mal d'élèves qui comme moi, avaient terminé. Je fais signe à Nacchi comme quoi je retourne à la salle sectionnelle pour récupérer mes affaires de sport, parce que c'est ce qu'on a juste après.
Je sors du réfectoire, prend une grande inspiration, et me met en quête de rejoindre la salle avant que tout le monde n'envahisse les couloirs.
J'entends une petite musique, douce et calme, quand j'arrive devant la porte de la salle de la section.
Cette situation me rappelle étrangement celle de lundi, alors qu'il était à ma place, et que moi, j'étais avec Nakamura.
Je me mets à trembler, je respire fort. Je me sens vraiment mal. Mais j'écoute. La voix est rassurante, et la musique est entraînante.
J'essaye de reprendre mon souffle, lentement. J'entrouvre la porte, silencieusement, pour regarder.
Il est là, Matsuoka Akira. Son regard est concentré, posé sur sa partition, sans doute celle qu'il a écrite ce matin, et il coordonne sa voix et la mélodie à la perfection. Je suis étonné de sa grâce, c'est vrai, c'est un garçon, mais il est délicat et précis.
Je me suis calmé. Je ne veux pas l'interrompre, mais il faut bien que je récupère mes affaires de sport. De toute façon, il ne va pas tarder à sonner, et tout le monde va arriver. J'entre doucement dans la classe, espérant qu'il ne me voie pas, et me glisse dans la salle des casiers. J'ouvre mon casier, tout tremblant. Je me sens pris de nausées à nouveau, et je me retiens aux casiers, prenant de grandes respirations. Je sors mon sac de sport, le lance sur mon épaule, et remet mes cheveux en place. Je repasse par la salle.
Matsuoka-kun est en train de débarrasser ses affaires.
Ah, c'est juste, les cinquièmes et sixièmes années ont les cours de sport par années.
Il est dans une des deux classes spéciales de cinquième, la 5-10, et si je me souviens bien, Nakamura est dans l'autre, la 5-11.
Je crois que les filles et les garçons sont séparés, enfin, ça me semble logique.
Moi, je suis dans une des deux classes spéciales de sixième.
Ce qui veut dire que je vais me retrouver avec Matsuoka-kun.
Il lève les yeux vers moi, et la sonnerie retentit à ce moment là. Je lui sourit, avant de sortir en vitesse.
Je croise Jiro et Ryō-chan dans le couloir. Je leur fais un signe de la main. Je dois aller au hall omnisports, donc je dois sortir de l'école. C'est derrière les jardins, un grand bâtiment à gauche.
Il fait étouffant dehors, et quand j'arrive, je suis tout essoufflé. Je ne connais pas grand, mais un garçon, la mèche tombant jusqu'aux yeux, me salue avec un sourire. Si je me souviens, il est dans ma classe... c'est Yoshino, je crois?
Il me briefe un peu sur ce qu'on va faire, sans doute la même chose que la semaine passée, la course.
Je ne me sens pas trop d'humeur, mais je me dis que je n'ai pas tellement le choix. Matsuoka-kun, lui aussi, vient d'arriver.
Il est assis sur un petit muret, toujours seul.
Notre prof arrive, c'est un homme assez petit, d'âge moyen, et musclé. Il nous fait entrer, et nous divise en deux groupe. La moitié des cinquièmes avec la moitié des sixièmes. Puis il nous sépare encore en deux, pour avoir des groupe d'une trentaine de personnes, comme une classe. Ensuite, on se place en ligne, chacun dans un coin, en croix.
Notre professeur a un micro, relié à des hauts-parleurs, qui retransmettent sa voix aux quartes coins de la pièce. Il est au milieu de toutes les lignes.
Je me sens plutôt mal, alors je me contente de regarder devant moi, et de respirer doucement.
⁃ Bon, aujourd'hui, notre objectif est de faire des sprints, en croix. Chaque groupe se place en ligne, et doit rejoindre le coin opposé du hall.
Le hall est tellement grand que le temps d'y arriver, je suis sur d'être épuisé.
⁃ Le groupe 1 va commencer. 3..2..1..Partez!
Je reçois un coup violent dans le dos. Je tourne ma tête, et Matsuoka-kun m'attrape par le bras, et me tire. Il a toujours été là?
Je commence à courir, et lentement, toutes mes forces m'abandonnent. Je vais vomir... Non... Je vois flou, et je sens toujours la main de Matsuoka-kun, serrant mon poignet avec force. Ma tête heurte le sol d'un coup, et j'entends la voix du professeur crier mon nom qui résonne dans le haut-parleur.
Et puis plus rien.
                             ******
Une lumière filtrée arrive jusqu'à mon visage. C'est la lumière du soleil couchant. J'ouvre lentement les yeux, étourdi. Je suis dans un lit, à l'infirmerie.
Je me suis évanoui?
Je me relève, plein de courbatures. Ma tête me fait mal, et j'essaye de me rappeler. Ah, je crois que je courais... Matsuoka-kun tenait mon bras, et je courais... Il l'a vraiment fait? Est-ce que c'était un rêve?
Les rideaux autour du lit sont tirés. Je m'assieds, et j'essaye de les écarter sans trop bouger.
Une main aux doigts vernis de noir vient à mon secours. Il tire les rideaux et me regarde d'un air gêné.
⁃ Tu t'es réveillé.
Je lui souris.
⁃ Matsuoka-kun.
Il rougit. Pourquoi il rougit, déjà?
⁃ Oui...?
⁃ C'est toi qui m'a amené ici?
⁃ N-non... Je suis juste là pour attendre... enfin maintenant... tu es réveillé, alors,... Je vais partir...
⁃ Attends!
À ce moment là, Miyako se précipite dans l'infirmerie. Je la reconnais à sa voix.
Elle arrive, écarte Matsuoka-kun et me regarde, effarée.
⁃ J'ai appris que tu t'étais évanoui, Eiji!
Matsuoka-kun plisse les yeux, et son expression semble ennuyée.
⁃ Ne t'en fais pas, je vais bien, maintenant.
⁃ C'est Matsuoka qui t'as amené? J'espère qu'il ne t'a pas trop embêté...
⁃ Miya-
⁃ Nakamura!
Matsuoka-kun l'attrape par la manche et la regarde, la colère brillant dans ses yeux.
⁃ Mais arrête de t'en prendre à moi! C'est bien ça que je disais, toi, tu sais pas te tenir, lança Miyako, l'air narquois.
⁃ Mais ta gueule!
Il lève sa main pour la frapper, mais je l'arrête d'un coup.
⁃ Arrête! Calme-toi.
Il me regarde, ses deux yeux bleus se rétractent, et il se met à rougir. Bientôt, il a presque les larmes aux yeux.
⁃ Matsuoka-kun...?
Il se dégage de moi, et s'en va, claquant la porte derrière lui.
⁃ Tu as vu, Eiji, pourquoi il fait peur à tout le monde?
⁃ Désolé Miyako, mais là...
⁃ Hein?
Je me lève d'un coup, et je commence à courir. Ça devrait aller, je me suis reposé et je me sens mieux.
Une fois dans le couloir, je repère Matsuoka-kun, qui vient d'entrer dans les toilettes du couloir. Miyako vient de sortir de l'infirmerie, et elle m'appelle.
Je me sens partagé, mais je veux vraiment le rattraper. Je vais jusqu'aux toilettes, moi aussi, et j'entre.
⁃ Matsuoka-kun?
Il est adossé à l'évier, l'air épuisé. Il relève sa tête.
⁃ Mais c'est quoi ton problème?
⁃ Hein?
⁃ Mais pourquoi tu me suis? Vas-y, casse-toi, rejoins Nakamura!
⁃ Matsuoka-ku-
⁃ Arrête de t'intéresser à moi! Je déteste les personnes comme toi! Tu te sens obligé de me parler, juste parce que tout le monde t'aime et que tu te sentirais mal de te faire détester, c'est ça? Et bien lâche -moi!
⁃ Matsuoka-kun!
Il arrête enfin de parler, et ses yeux brillent tant de colère tant de honte, à croire ses joues rouges.
⁃ Tu dis que tout le monde m'aime?
Personne ne m'aime, Matsuoka Akira.
⁃ Que je ne suis jamais seul?
J'ai toujours été seul.
⁃ Depuis que je suis arrivé ici, peut-être bien que c'est comme ça... Mais... tu te souviens d'avant?
⁃ D'avant?
Sa voix semble cassée, enfin, extrêmement triste.
⁃ Du regard que j'ai échangé avec toi sur la route du temple... Tu sais, à ce moment-là...
Je me souviens de mes vêtements trempés, de la journée horrible que j'avais passée, et...
⁃ J'étais..
Je ne peux pas le dire. Je ne suis pas prêt.
Pourquoi je lui dirais, à lui?
Pourquoi...?
⁃ Mitsukane-senpai?
Ses yeux sont remplis de larmes.
⁃ Oui?
⁃ Est-ce que je suis détestable?
J'ouvre ma bouche pour répondre quand il m'interrompt.
⁃ Je m'en fiche, en fait.
Sa fierté vient de refaire surface, alors il se redresse, en dépit de son air triste, et passe devant moi, pour sortir.
⁃ Matsuoka-kun!
Il ne se retourne pas, mais s'arrête de marcher.
⁃ Merci de m'avoir aidé. Je viendrai te voir chanter!
Je veux vraiment y aller. Il faut bien que j'y aille.
Sa voix était tellement belle.
Il me rappelle ma mère en un sens. Elle chantait toujours pour moi.
Il se remet à courir, et Nakamura me rejoint, l'air perturbé.
⁃ Eiji?
⁃ Oui?
⁃ Je veux que tu sois plus proche de moi...
Plus proche d'elle? Je lui souris.
⁃ Je suis là, si tu as besoin de moi.
Elle me regarde, elle semble frustrée.
⁃ Je suis un peu bête, je pense.
Elle rigole, puis passe un bras autour de mes épaules. Je me rends compte qu'elle est plus grande que Matsuoka-kun.
Ça me met un peu mal à l'aise. Je n'ai pas vraiment l'habitude de ça, en fait.
Que voulait-elle dire par proche?
⁃ Bon, je pense que comme tu t'es senti mal, tu devrais retourner te reposer pour aujourd'hui...!
⁃ Oui...
⁃ À demain, Eiji!
Elle me fait un signe de main en s'éloignant.
Je reste là un instant, perdu par tout ce qui vient de m'arriver.
Je retourne finalement au dortoir, lentement.
Matsuoka Akira... est-ce que je l'ai fait pleurer?
J'ai comme l'impression que ma vie est en train de changer. Mais malgré tout...
Ce garçon aux yeux bleus... Je ne peux pas m'empêcher d'être curieux.
C'est comme si... il y avait un lien, entre nous.

Jour de pluie (Ame no Hi) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant