J'essayai tant bien que mal de refermer la porte de ma chambre derrière moi sans faire aucun bruit. C'était la première fois que je me faufilais dehors alors que ma mère dormait déjà. Je ne voulais pas lui donner un quelconque motif d'inquiétude et on ne pouvait pas dire que faire le mûr soit très judicieux, même si c'était juste pour faire un brin de causette avec le voisin.
Mes pantoufles rembourrées ne résonnaient même pas sur les escaliers et je les descendis rapidement alors que j'avais l'impression que les frottements des pans de mon pantalon de pyjama faisaient un boucan du diable. Je ne pus respirer normalement qu'une fois dehors, la porte d'entrée bien fermée et aucun signe que je me sois faite repérer.
L'extérieur était tel que pouvait l'être une nuit d'automne à vingt-trois heures : froide, sombre, inquiétante. Je pensais que le gros pull que j'avais passé sur mon T-shirt suffirait mais j'avais tort. Des frissons me parcoururent presque immédiatement le corps mais même les bras autour de moi en une vaine tentative pour me réchauffer, rien ne m'empêcherait de rejoindre mon très cher voisin. Et dès le portillon franchit, il était là, adossé au poteau électrique, le nez vers le ciel.
Il semblait réfléchir. Peut-être à ce qu'il allait me dire. En vérité, j'appréhendais un peu. Pour la première fois, il avait pris l'initiative de me parler et pas pour se moquer de moi ou me lancer des paroles acerbes au visage.
J'inspirai doucement, puis m'avançai vers lui. Les mains dans les poches, il n'avait toujours pas détourné le regard de la lune inexistante. Son visage était troublé et captivé à la fois, comme s'il était ici et ailleurs. Etrange... Toutefois, je n'avais pas toute la nuit, littéralement, à lui consacrer.
- Tu voulais me parler ? commençai-je.
Immédiatement, il baissa son visage et regarda ses pieds, comme un enfant qui réfléchirait intensément à une question que son professeur lui aurait posée. Finalement, il prit une petite inspiration et se tourna vers moi. Sous l'ampoule blanche et lumineuse du lampadaire, ses yeux étaient gris, presque blancs. Son regard était toujours aussi déroutant. Il retira ses mains de ses poches et leva les bras en un vague geste d'impuissance.
- Ouais, je veux te parler. Mais honnêtement, je ne sais même pas ce que je devrais te dire.
- Et si je te facilitais la tâche ? Tu as le choix : du fait que durant ces dix dernières années, personne n'a essayé de nous avertir de ce qui se passait ; de comment on va rendre ses souvenirs à Jamie ou... de la lettre ?
Je ne savais pas laquelle entre la première et la dernière proposition, le choqua le plus. Je le vis ravaler difficilement sa salive. Il semblait encore plus pâle que d'habitude.
- Je... je ne sais pas. En fait, je n'aurais pas dû te dire de venir. Je préfère m'en aller.
Je lui empoignai le bras avant qu'il ne se détourne. Malgré la fraicheur nocturne, il était chaud.
- J'ai la lettre sur moi. Je peux te la montrer si tu veux.
Son poing se serra un instant puis se relâcha. Je ne pouvais voir que son dos maintenant, mais je ressentis à travers ce petit contact avec son corps, la tension qui émanait de lui. Sans attendre sa réponse, je fouillai dans une des poches de mon pantalon et en sortis l'enveloppe blanche un peu écornée que j'avais reçue il y a quelques temps.
- Tiens, murmurai-je en fourrant doucement le bout de papier dans la main de Chase.
Ce dernier serra l'enveloppe et sans se retourner vers moi, il la regarda. Des secondes qui me parurent une éternité s'écoulèrent avant qu'il ne se décide à l'ouvrir et à lire les maigres mots qui y étaient inscrits. Je restai plantée là, sans dire un mot, osant à peine respirer. Je sentais que ce moment était important et je ne voulais pas le gâcher.
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Souvenirs, Souvenirs - T.1 : La Promesse [Derniers Chapitres Dépubliés]
Ficção AdolescenteAlors qu'elle aurait normalement dû se préoccuper de sa rentrée en dernière année de lycée, Junya est à mille lieux de là. Une lettre était venue semer le trouble dans son esprit et avec elle, un nom : Jamie Darring. C'était celui d'une personne qu...