1 trèfle

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« Maman !
- Coucou bébé. Tu as bien dormi ? » Elle me demande de sa voix douce qui enveloppe l'espace dans lequel nous sommes.

« Tu m'as manqué. » Je bafouille du haut de mes un mètre vingt et je tends les bras vers ma mère qui pose les courses pour me tirer contre elle.

« Enfant. Toujours. » Elle rigole et embrasse ma joue de manière exagéré.

La sueur qui coule de mon front n'est pas un rêve, contrairement à ma mère. Mes mains tremblent incontestablement et la nausée, déjà bien présente, monte petit à petit jusqu'à que je crache mes poumons au sol, près d'une poubelle, dans une ruelle sombre et sale. Mon repas de la veille qui se résume à un sandwich de walmart s'étale entre les cartons et les restes de repas du restaurant GOOD JOB JIMY se trouvant à deux rues d'ici. Ils viennent jeter les restes dans cette poubelle et, dieu merci, un quart de la nourriture est encore mangeable. La température ne dépasse pas les cinq degrés et le tremblement de mon corps le prouve. Mes doigts sont gelés et la couverture posée sur mes épaules ne suffit plus à me couvrir. Putain de merde. Il faut que je me trouve un endroit plus chaud sinon je vais crever ici, en moins d'une semaine. Je touche mon arcade douloureuse et je suis soulagé de constater que je ne saigne plus. Le mec de la banque m'a bien fait comprendre que je ne pouvais pas rester. Encore une fois, il a surement du voir à ma dégaine que j'étais dans la merde profonde et ne s'est pas fait prier pour m'y enfoncer encore plus.

Le soleil se lève petit à petit, faisant monter de quelques degrés la température présente sur cette ville. J'ai faim. Vraiment faim et je n'ai plus un rond. Je me lève et commence à marcher d'une allure qui laisse à désirer vers le magasin le plus proche. Je me trouve dans le centre-ville et, il est aux alentours de sept heures du matin. Il y a déjà beaucoup de personnes qui font des allers-retours, monte dans le tramway, vont chercher du pain, des croissants, se rendent au travail, ou encore à l'université. Personne ne fait attention à ce qui l'entoure. Moi, je regarde en marchant. Je fixe, je détaille, je juge, je note. Je ne suis pas le mieux placé pour juger des gens mais il faut croire que ça rempli mon temps libre – c'est-à-dire toute la journée excepté le temps où je dors et où je mange. Le walmart le plus proche est seulement à quelques mètres mais j'ai l'impression de mettre des décennies pour m'y rendre. 

Mes jambes sont anesthésiées et faire un pas, me demande un effort considérable. J'ai abandonné l'idée de ressembler à quelque chose au bout de quelques semaines passées dans la rue. Les premiers jours ont été assez simples. Je dormais dans un hôtel la nuit, juste un lit et une salle de bain de 1m2 – ce qui était déjà pas mal pour le prix que j'y payé. La journée, je parcourais les rues à la recherche d'un travail. J'avais le bac S en poche. Même si mon père était un putain de taré, j'avais eu droit à des études jusqu'à mes dix-huit ans. J'ai cherché. Je suis entré dans la plupart des bars, des cafés, des restaurants, des boutiques. Tout ce que je pouvais trouver d'assez bien, même les trucs qui avaient l'air chiant comme nettoyer les chiottes d'un restaurant ou d'un hôtel, je l'aurais fait. J'étais prêt à tout pour avoir un salaire même merdique à la fin du mois et au fond de moi, quelque chose me disait que je finirais bien par être embaucher. Ca n'avait pas l'air bien compliqué. Je me plierai aux exigences et tout le bordel...

Sauf que personne ne m'a recruté.

Personne n'a voulu me prendre et à peine trois semaines plus tard, toutes mes économies avaient disparus. Envolées. Volatilisées. Je n'avais plus rien. Plus un rond, plus un sous. J'ai fouillé les tiroirs de ma chambre d'hôtel, renversé les étagères et mis la chambre sens dessus dessous. Le résultat resté le même. Je n'avais plus d'argent.

Alors j'ai attrapé mon sac, j'y ai fourré les pulls que j'avais pris soin de prendre en me barrant de chez moi et j'y ai mis une couverture ainsi que quelques trucs à bouffer. Puis, je me suis barré. Je n'ai pas payé l'hôtel. Avec quoi je l'aurais fait, de toute manière ? Deux putains de mois que je vis dans les rues. J'ai marché des kilomètres, passant de ville en ville. J'ai même essayé de retourner chez moi, sauf que mon père m'a bien fait comprendre que si je partais une fois, je n'avais pas intérêt à revenir. Il me l'avait dit mais ce jour-là, j'étais tellement en rogne, tellement soulagé d'avoir dix-huit ans que je n'ai pas fait attention et je n'ai pas réfléchi aux conséquences. Je suis sorti en claquant la porte.

Mauvaise idée. Très mauvaise idée. Un mois plus tard, quand je suis retourné chez lui, il m'a bien fait comprendre que je ne mettrais plus un pied ici et m'a refermé la porte au nez. J'ai vraiment regretté, sur le coup. J'ai vraiment regretté de mettre cassé comme ça, sans penser à ce que cela pouvait engendrer. Puis, avec du recul, le temps est passé par là, la raison aussi. Je préfère crever de froid que de devoir avoir à faire à ce connard.


« Tu sais que même quand tu serais grand, tu pourras toujours venir ici. » Me disait ma mère alors que je planifiais déjà mes plans pour le futur, du haut de mes sept-ans. Foutaise. Tu t'es barré toi aussi, sans penser à ce que je pourrais endurer par la suite. J'espère qu'il baise bien au moins, ton nouveau gars. Je rumine contre moi-même et arrive enfin devant le magasin qui m'ouvre ses portes. Merci, un peu de chaleur. Mes chaussures commencent réellement à s'abimer. Il y a des trous dedans et je sens qu'elles vont bientôt me lâcher. Sauf, que ce n'est pas le moment, vraiment pas. Je fais le tour des rayons, prenant cacahuètes, biscuits, jambon, fromage, que je cache sous ma veste et dans mon sac. J'ai intérêt à courir vite si je me fais prendre. Quand je sens que je ne pourrais pas rajouter quelque chose de plus entre mon tee-shirt et mon sweat, je me dirige vers la sortie. En marchant, les lèvres pincées.

Juste quelques mètres. Quelques secondes pour les traverser.

Puis, c'est bon. Je respire de nouveau. Je prie Dieu pour ne pas avoir sonner à la sortie. Combien de fois cela m'est arrivé déjà ? Je n'aime pas courir. Ou plutôt devrais-je dire, je n'aime plus. Pourtant, je courais souvent, avant. Quand j'avais assez de bouffe dans l'estomac et que je ne vomissais pas mes tripes quelques minutes plus tard.

Je me dirige de nouveau dans la ruelle où je me suis endormi quelques heures plutôt. Je remplis mon sac de la bouffe et le remets sur mon dos pour reprendre mon chemin. Je ne compte pas passer ma journée à glander ici. J'ai quand même pris soin de garder les cacahuètes pour en manger sur le chemin. Il y a encore plus de monde que ce matin et les rues sont bondés, ce qui fait que je me cogne contre plusieurs personnes sur mon chemin.


Je sais qu'il y a une université près d'ici. En fait, j'ai toujours voulu aller à l'université. Alors naturellement, je me dirige vers elle, suivant les panneaux d'indications. De plus en plus de jeunes traversent les rues et j'entends des rires tout près d'ici. Je me doute que j'y suis près et souris quand je vois le panneau « Université d'Hoboken ». Avec mon père, j'habitais dans les rues de Brooklyn, un des arrondissements de l'état de New York, à quarante minutes d'ici en voiture. Même si ma maison était petite, je ne manquais de rien. Hoboken est une ville proche de celle de New York, mais dans le New Jersey. Enfin, d'un coté, même en changeant de ville, les ruelles sont toutes les mêmes, en fin de compte.

Je sens quelques choses frapper dans mon sac à dos et je manque de tomber mais je me retiens de justesse au mur, près de moi. En me retournant, je me rends compte qu'une petite tête brune se trouve à mes pieds. La petite dégage ses cheveux de ses yeux et lâche un soupir quand elle se rend compte que son café est par terre. Renversé. Sur MES chaussures. Sur MES putains de chaussures qui ont des putains de trous et où son putain de café s'infiltre.

« Mince. » Elle chuchote et se relève maladroitement, une main contre sa bouche. « Je... Excusez-moi. Je suis en retard et je ne regardais-» Je mets ma main devant elle et secoue la tête.

« C'est bon. » Je siffle, irrité alors que la chaleur du café entre en contact avec mes orteils. « Fais attention, la prochaine fois. » Je chuchote de ma voix rauque. Ca faisait combien de temps que je n'avais pas parler ? Trois ? Quatre jours ? La fille qui se trouve devant moi doit faire aux environs d'un mètre soixante-dix, voir un peu moins. Assez petite comparé à mes un mètre quatre-vingt-six. Une nouvelle fois, elle glisse une mèche de ses cheveux derrière son oreille et mordille sa lèvre. Craquant.

Merde, je me rends compte que je n'ai toujours pas bougé alors que ça doit faire un bon bout de temps qu'elle est là, la tête baissé. Je me reprends et ramasse son gobelet alors qu'elle passe une de ses mains contre son jean pour virer les saletés. Je jette ce que je tenais en main et finis mon paquet de cacahuètes.

« Tu... Tu vas à cette université aussi ? Je ne t'ai jamais vu, ici. » Elle lance alors que je vais pour m'éloigner. J'hausse les épaules et continue de marcher.

« Je ne vais pas ici. Je regardais, c'est tout. » Je ne lui laisse pas le temps de répondre que je suis déjà partie.

« Je suis désolé pour les chaussures. » Je l'entends crier alors que je suis déjà loin. Ouais, excuses toi parce que tu viens de me foutre dans la merde profonde.

YOUNGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant