4 trèfles

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J'ai tellement mal au dos que je pourrais comparer cette douleur au fait qu'un camion m'est roulé dessus et je n'exagèrerais même pas.  J'ai froid, aussi. Mon corps tremble en dessous la simple couche de vêtement mouillé qu'est mon tee-shirt. Parfois, il me suffit juste d'un chocolat chaud, acheté au café du coin, ou encore d'un simple petit café pour me réchauffer mais j'ai comme l'impression que cela ne va pas suffire aujourd'hui. J'ai froid. J'ai froid. J'ai à peine la force de bouger. Tous mes membres sont endormis, mes jambes ne cessent de trembler alors que mes dents claquent entre elle. Je vais crever ici, putain. Je ne vais pas tenir.

J'avais beaucoup d'ambition et si les gens savaient, savaient que parfois, parfois la vie est dure. Que parfois, certaines personnes ne sont pas dans la rue parce qu'elles n'ont rien foutu durant leurs études. Putain non ! Je suis à la rue parce que mon père me battait et j'ai pris la décision de clamsé dehors plutôt que sous les coups de mon géniteur. Je n'ai pas pris la décision sur un coup de tête. J'ai réfléchi. Durant des jours, des années entières à me demander si je devais rester le temps de finir mes études ou aller me démerder tout seul comme un grand. Sauf que, parfois, même les décisions qu'on pense les meilleures à prendre, nous mettent encore plus dans la merde qu'avant. Alors on s'enfonce, de plus en plus vite, de plus en plus profond.

« Je te cherche depuis deux heures, bordel. » J'entends cette voix qui résonne dans la ruelle et les pas qui s'approchent de moi, tout doucement. Le bruit de la pluie qui résonne en fond.  Comme une douce mélodie.

« Allez lève-toi. T'aurais pas dû te barrer du centre. Ben va te frapper s'il te retrouve. T'as de la chance d'être tombé sur moi. » De la chance d'être tombé sur lui ? Il plaisante. Je me relève quand il tire sur mon bras et laisse tomber au sol la couverture qui était posée sur moi quelques secondes auparavant. « T'es gelé. » Il enlève son pull et me l'enfile. Je le repousse et retombe. « C'est quoi ton problème ? Tu préfères te démerder seul ? » Il me crache alors qu'il me relève de nouveau, tirant un peu plus fort sur mon bras. Il attrape mon sac à dos et le balance sur ses épaules. On commence à marcher alors que la vie à déjà repris son cours. Elle ne s'est même pas arrêtée, en fait.  On traverse les rues, mon bras appuyé sur lui pour m'empêcher de tomber. Les lèvres surement violettes de froid et tremblant tel une feuille. Il me fait traverser la ville avant de s'arrêter derrière l'immeuble où se trouve son appartement et il me tend une balle de tennis. Pendant qu'il dispose les bouteilles de bières vides sur un carton, je frictionne mes mains entre elles, je frotte mes bras, fort, vite, pour que j'ai un peu moins froid et ça marche, seulement un peu. Très légèrement, j'ai l'impression de reprendre ne serait-ce que quelques petits degrés mais c'est déjà beaucoup. Et ça me suffit. Quand je relève la tête, Julian a fini de placer les bouteilles.

Puis, on tire, on détruit, on remonte. On se défoule, on cri, on gueule notre douleur, notre rage. On frappe, fort, à en transpirer, à s'en couper le souffle. On hurle au monde entier, la douleur, la fin, la tristesse, la solitude. Parce que même entouré de gens, parfois, on peut se sentir seul. On brise des bouteilles contre les murs, contre le sol. On brise nos voix et nos derniers espoirs. On y laisse notre souffle et notre santé. On y laisse notre âme jusqu'à en tomber.  Quand il n'y a plus rien, plus rien à détruire, plus rien à exploser, on n'entend plus que nos souffles courts, forts et nos pleurs intérieures. Il nous reste un peu de rage. Il nous en faut encore. Il ne faut pas tout y laisser parce que la rage, on n'en a besoin, comme on a besoin d'amour. L'espoir c'est des conneries. L'espoir c'est pour les gens faibles. Nous, on a seulement besoin de rage. La rage de vivre, de vaincre, de rester ici, dans ce monde, encore un peu. 

On rejoint Ben dans l'appartement de Julian et je vois qu'il se retient de me faire une réflexion mais à quoi cela servirait ? Il ne me connait pas. Je ne le connais pas. Il n'a pas besoin de m'en mettre une parce que, de toute façon, cela ne servirait à rien. Il le sait, et moi aussi. Alors il ne fait rien. On se regarde un moment sans rien dire puis Ben et Julian recommencent à parler, à rire, à boire. Je vais prendre une douche, mettre les vêtements qu'ils m'ont passé, presque identiques à ceux que j'avais sur moi la nuit dernière.

YOUNGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant