~Chapitre 7~

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Leewan

Au moment même où les moteurs se remettent en route, je fais le calcul du temps qu'il nous faut pour nous mettre hors de portée. Ça va être chaud, mais nous allons y arriver. Kuiper, c'est en quelque sorte du gâteau, par contre, Oort, c'est plus ou moins l'inconnu total. Je pianote sur mon écran, ajuste les distances, calcule et peaufine la meilleure approche. Le pilotage est ce que je préfère, c'est mon trip absolu. J'ordonne à tout l'équipage de s'attacher sur leurs sièges. Nous allons certainement être un peu secoués.

Je m'installe au second pupitre, en informant mon officier navigateur que nous prenons les commandes ensemble. Je fais même un peu d'humour, en disant que j'aime bien notre ordinateur de bord, mais pas à ce point-là, ce qui le fait sourire.

Si je devais décrire le Jupiter One, de manière simpliste, je dirais que vu de face, c'est une immense sphère ressemblant à une assiette plate, surmontée d'une creuse positionnée à l'envers. Nos moteurs et réacteurs sont deux énormes cylindres, accrochés de part et d'autre sous l'assiette plate. Quant à la passerelle, il faut visualiser une assiette à dessert, installée entre les deux grandes, à la périphérie avant du vaisseau. Elle comporte trois niveaux. Côté intérieur, le plus haut se compose d'une série de consoles, placées de chaque côté de l'unique porte d'accès automatique. Deux postes de communication, deux postes de surveillance, un poste recherches et analyses, et deux pour gérer nos systèmes de survie. Ensuite, trois marches plus bas, un espace ovale accueille quatre fauteuils. Le mien, celui de mon second, celui de notre psy, et un pour notre doc. Deux marches plus bas, le niveau plat héberge deux pupitres de pilotage à droite, ainsi que deux à gauche, qui gouvernent nos moteurs, et les drones. Ces derniers tournent en permanence autour du Jupiter, surveillant à la fois notre environnement proche, et le vaisseau en lui-même. La 'pièce' fait pratiquement vingt mètres de diamètre, ce qui est minuscule, en comparaison de la circonférence globale du Jupiter. Pour finir, imaginez un écran plat incurvé de dix mètres de long, sur plus de trois mètres de haut, pour la vue que nous avons sur l'extérieur. C'est grandiose, mais très impressionnant à l'approche de la ceinture d'astéroïdes.

Je réduis au minimum les stabilisateurs du vaisseau. J'ai besoin d'avoir un contrôle quasi-total, pour pouvoir nous faufiler entre les monstres de la ceinture de Kuiper. Les drones sont rentrés, les boucliers levés, c'est à moi de jouer.

Je sens le regard d'Eden braqué sur moi, mais je dois me focaliser sur ma tâche, oublier qu'elle est là. Ne pas penser à ce que je ressens, lorsqu'elle est proche de moi, et encore moins à ce que j'éprouve quand nos regards se croisent. Je respire profondément, vide mon esprit, puis me canalise sur ce que j'aime faire par-dessus tout : piloter. Sur mon pupitre, un large écran m'affiche la carte de navigation en temps réel.

Je fais entrer le Jupiter dans la ceinture. Je manœuvre, avec finesse pour éviter les obstacles, ce qui est loin d'être évident avec un astronef frisant les trois-cent mètres de diamètre. J'ai presque la sensation d'être sur le simulateur, ou dans un jeu vidéo, sauf que là, je n'ai pas droit à la moindre erreur. Je suis dans ma bulle, tendu à l'extrême, et nous sors de Kuiper sans encombre. Et d'une ! mais, le plus dur reste à faire pour nous mettre hors de portée.

Je relâche ma concentration, juste quelques secondes, pour ordonner à l'équipage de ne pas bouger. Je fais accélérer le vaisseau, en suivant le compte à rebours de l'ordinateur, puis réduis notre vitesse à son minimum dès que nous sommes aux portes d'Oort. Je jette un coup d'œil à la cartographie en fronçant les sourcils. Le Jupiter a l'air ridicule, face à cet immense nuage de composition incertaine et instable.

L'image de mon père traverse soudain mon esprit. Où qu'il soit, je veux qu'il soit fier de moi. Je prends une profonde inspiration, et entame cette périlleuse traversée. D'autres l'ont bien fait avant moi, il n'y a donc aucune raison que j'échoue.

Jupiter OneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant