Jupiter One

Chapitre 11

Eden

M'étant suffisamment torturée pour la journée, avec le dossier du capitaine, je le laisse de côté pour passer à celui de Jayce. Je prendrais connaissance de l'annexe plus tard. Je lis en travers ce que je connais déjà sur le commander Jones, pour aller directement à la partie post-guerre. J'avoue que je suis curieuse de voir ce que va provoquer chez moi la lecture de son dossier médical.

Il était dans les sous-sols de l'académie lorsque tout a explosé. Construit tel un bunker le bâtiment a résisté, mais le commander a quand même eu le bon réflexe en allant se placer dans l'encadrement de la porte. C'est le mobilier qui l'a frappé, lui brisant jambe et bras gauche, et plusieurs côtes en perforant le poumon. De multiples plaies, certaines plus graves que d'autres. Je suis pleine de compassion pour ce qu'il a enduré, pour la perte simultanée de ses deux parents, pour le deuil qu'il a dû faire. Pour avoir remonté la pente psychologique en se consacrant à sa cousine et à son meilleur ami. J'imagine sans peine l'effort mental qu'il a été contraint de faire en tant qu'enfant unique. Faire preuve d'un moral d'acier n'a certainement pas été la chose la plus facile à faire, et je pense que c'est cela que j'ai ressenti, le blindage volontaire qu'il a mis en place pour que personne ne puisse détecter la douleur qu'il a subi.

Je compatis sincèrement, mais je ne suis pas aussi secouée que pour Leewan.

Concentrée sur mon écran, je n'ai même pas remarqué que je suis le seul officier encore présent sur la passerelle, et qu'Erin me tapote gentiment le bras.

— Allo ? Il y a quelqu'un ? me taquine-t-elle.

Je fais mine de réfléchir avant de répondre :

— Non, je suis en train de bronzer aux Bahamas !

Elle me dévisage en plissant le front.

— D'accord, tu m'expliques ce que tu as fait à ta lèvre ?

— Je me suis mordue.

Elle secoue la tête, l'air navré.

— Tu ne t'es pas loupée ! Et qui est le responsable de cette étrange automutilation ?

— Bien que tu sois ma meilleure amie, tu sais pertinemment que je ne te dirais rien... secret professionnel oblige.

— Bah, c'est inutile, je sais de toute façon, affirme-t-elle avant de poursuivre, si tu veux joindre tes parents c'est maintenant ! Dans deux heures tout au plus nous serons trop loin.

Je soupire en sachant d'avance que ma mère va pleurer, que la voix de mon père va trembler, et que ma sœur sera ailleurs, histoire de ne pas me montrer qu'elle tient à moi, et qu'elle a peur que je ne revienne jamais. Erin nous met en communication vidéo. Je rassure mes parents, en faisant pivoter l'écran pour qu'ils voient que ma meilleure amie est du voyage, tout en leur citant le nom de notre médecin de bord qu'ils connaissent. Ils semblent moins inquiets, mais comme je l'avais senti, j'ai droit au panel d'émotions, cités plus haut, lorsque vient le moment de couper la liaison. Ils me font promettre de faire attention à moi, je leur fais jurer de prendre soin d'eux.

J'ai beau être qualifiée, je suis un être humain qui peine à retenir des larmes de tristesse.

— Ça va aller ? me demande Erin.

— Oui, je ne peux pas faire faire demi-tour à ce vaisseau, tenté-je avec humour.

Mon amie me fixe un instant avant d'ajouter :

— Tu viens dîner avec moi ce soir, et tu ne discutes pas.

— Bien chef ! acquiescé-je.

Ma première séance privée avec notre doc m'apporte ce dont j'avais besoin. Il y a longtemps que j'envisageais de me mettre sérieusement à la relaxation, c'est chose faite. Je n'ai jamais eu quelqu'un pour me guider, j'ai appris toute seule à canaliser mes facultés. Et croyez bien que ce n'est pas une partie de plaisir, contrairement à ce que vous pourriez penser. C'est perturbant, déstabilisant, vous faisant parfois passer pour un être anormal. Oui, même à mon époque, et après tout ce qui s'est passé, il y a encore des personnes à l'esprit fermé. Les évènements bouleversent les comportements, pas la nature humaine. Dès qu'elle ne peut ni comprendre, ni expliquer ce qui vous rend différent, elle vous place d'emblée dans la catégorie phénomène de foire.