Eirenn

Chapitre 1

25 ans plus tard

Le mois de décembre en Provence était magnifique. À quelques jours des fêtes de Noël, de belles illuminations ornaient les façades aixoises, les maisons, les boutiques et le centre-ville. Plusieurs petits chalets en bois prenaient place le long du cours Mirabeau. Ces artisans et commerçants proposaient et vendaient leur travail : des produits provençaux en passant par des bougies parfumées et des écharpes, sans oublier la traditionnelle foire aux santons. Quand je trouvais le temps, j'adorais déambuler au pied de ces chalets même si le plus souvent j'étais seule. Malgré le froid que je détestais, lorsque je me décidais à y faire un tour, je m'apprêtais toujours d'un bonnet, d'une écharpe, d'un manteau et d'une paire de gants en laine. Ma première étape était de me réchauffer auprès d'un chalet servant du vin chaud.

Noël rendait les gens de bonne humeur, contrairement à moi depuis ce matin. J'avais quitté mon petit appartement d'Aix-en-Provence de mauvais poil. D'ici quelques heures, j'aurais vingt-cinq ans et je ne savais pas pourquoi je ressentais un malaise à ce changement d'âge.

Je sillonnai les rues aixoises pour éviter les bouchons matinaux. Je devais me rendre à mon premier patient dans le village de Vauvenargues et je n'étais pas en avance. La voiture devant moi s'arrêtait à chaque rue et roulait au pas. Je devenais folle et ma patience explosa. Je klaxonnai comme une demeurée ce qui obligea le conducteur à s'arrêter. Je le doublai en montant à cheval sur le trottoir. Trop préoccupée à regarder si ma Twingo passait entre le mur et l'automobiliste, je lui jetai un petit signe de la main en guise de merci. Je déboulai sur le périphérique, route sur laquelle je circulais beaucoup mieux à condition de ne pas me prendre ce satané feu rouge ! Ce n'était vraiment pas mon jour ! Je soufflai de rage et tapai sur le volant. Une voiture qui était à mes côtés, attendit aussi que le feu passe au vert. Les vitres grandes ouvertes, malgré un froid hivernal, une musique techno se dégageait d'une violence à exploser les vitrines des magasins. J'observai le coupable de cette exaltation sonore. Un gars au profil mignon me reluquait en bougeant la tête au rythme de la musique – Et bien vas-y, ne te gêne pas ! Tu veux ma photo ? Bon, je concevais que mon look ne passait pas inaperçu : de grands yeux noisette sur une peau pâle à taches de rousseur et une crinière longue avec un mélange de roux et de blond vénitien. Mes collègues infirmières m'appelaient « le feu follet » à cause de ma couleur de cheveux et de mon tempérament de feu. Je décidai de donner une bonne leçon à ce bad boy. Tout en le regardant avec un grand sourire et quelques petits clins d'œil aguicheurs, je passai discrètement la première. Le feu passa au vert et j'appuyai aussitôt sur l'accélérateur. Je l'ai eu au démarrage ! Je rigolai comme une gamine derrière mon volant. Je jetai un coup d'œil dans le rétroviseur : il n'était pas content car dans la panique, il avait calé et des voitures le klaxonnaient. Sans demander mon reste, j'accélérai car si monsieur était susceptible, il risquait de me rattraper. Courageuse mais pas téméraire.

Une fois sur la départementale qui m'emmenait à Vauvenargues, je soufflai. J'étais sortie de la ville, je devais encore rouler vingt-cinq minutes, mais des minutes agréables à travers champs et pinèdes. J'en profitai pour rappeler ma mère. Elle m'avait laissé un message ce matin lorsque j'étais sous la douche. Au bout d'une sonnerie, elle décrocha.

— Eirenn ! Tu en as mis du temps à me rappeler...

— Bonjour Maman. Tout va bien à Paris ?

— Eirenn ! Regarde les paumes de tes mains et dis-moi si tu as une tache ou quelque chose d'inhabituel ?

— Mais quelle mouche t'a piquée, tu...

— Eirenn ! Écoute-moi !

Je n'aimais pas du tout son ton, quelque chose la contrariait, j'en avais la chair de poule. Je n'étais plus à cinq minutes près, je m'arrêtai dans un renfoncement sous un gros chêne vert pour observer l'intérieur de mes mains.