Le garçon de roses

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  Jimin se souviendra toute sa vie de Yoongi lorsqu'il le vit pour la première fois.

Dans ce sous-sol bétonné où la musique pulse sourdement, comme un cœur caché, il voit ses bras blancs et fins se lever au dessus de sa tête, perçant à travers la masse mouvante.

Jimin doit s'arrêter, incapable de le quitter des yeux. Yoongi. Il l'a trouvé sans le chercher lui.

Son envoûtante beauté moribonde transperce les pores de sa peau, si pâle qu'elle en paraît translucide. De là où il est Jimin découvre les branches d'arbres morts se déployer sous ses paupières fermées ; elles courent sous la peau des tempes vulnérables, s'accrochent à la nuque redressée, attrapent les os de la clavicule puis s'enroulent, et retombent s'entrelacer sous la peau nue du torse.

Le jeune homme est tourné vers lui, mais son profil aux yeux clos est orienté ailleurs. Les lumières pastelles et blafardes projettent leurs ombres fantomatiques sur sa silhouette fragilement délicate, tandis qu'il suit doucement la houle pulsée de la foule dansante.

Jimin redoute. Instinctivement il cache ses yeux sous ses cheveux.

Les siens s'ouvrent ; et se fixent sur lui à la seconde même où Jimin les voit.

Des yeux ambrés, cernés de noir, en amande féline qui s'accrochent impitoyablement aux siens ; ils s'incrustent un instant et Jimin se recule, se dissimule en baissant son regard trop ouvert et vulnérable.

Il entrevoit la bouche fine et rose, une bouche dessinée et maquillée, fantasque, sourire, presque cruellement. Les mains aux doigts étranges lissent quelques mèches de son crâne, et redescendent le long de son corps.

Un puissant frisson ébranle l'échine de Jimin. L'instinct ordonne que l'on déguerpisse. Sans vraiment comprendre, ni demander son reste, il pivote et se faufile dans la foule pour disparaître, ce qu'il sait si bien faire.

Mais les doigts déformés se referment sur son bras ; la poigne est féroce, et révèle une force insoupçonnée dans un corps aussi fin. Il se retourne et fait face.

Yoongi le regarde, un sourire de chat amusé sur les lèvres, les yeux plissés et la tête penchée en arrière.

- Ne pars pas coquin. Tu es Jimin n'est-ce pas ?

Il est lumineux. Malicieux. Un beau diable, éperdu.

Jimin hoche la tête et se recule, butte contre le mur ; il garde le visage enfoncé dans l'ombre de ses cheveux et de sa capuche, regardant l'autre depuis ses propres ténèbres.

Il avait entendu parler de Yoongi. Un gars dont tout le monde parle, tellement qu'il en devient un être insaisissable. Désirable.
Un rival. Capable d'attirer les plus gros friqués.

Jimin ravale son impression de saleté, d'infériorité indigne.

- Je ne te cherchais pas.

- Tu m'as pourtant trouvé.

Yoongi est soudain redevenu sérieux. Jimin est persuadé qu'il joue un rôle. Comme tout le monde en fait.

- Viens dans ma loge.

La voix a baissé de plusieurs octaves. Basse. Autoritaire. Yoongi lui tourne le dos et s'en va. Jimin ne se pose pas de questions et le suit sans mal.

Ils passent dans un couloir à peine tiède aux parpaings apparents. Jimin regarde l'épiderme fine qui frissonne au changement de température, et suit le corps simplement vêtu d'un pantalon moulant, rouge rubi. Ils arrivent devant une porte en métal, Yoongi l'ouvre et entre, suivit de Jimin.

La pièce est étroite, surchargée de produits de maquillage en tout genre ; des tenues extravagantes s'empilent sans soin sur le dossier d'une chaise. Le miroir crasseux est recouvert de photos en noir et blanc d'hommes déguisés en femme.


RRose C'est La Vie


Sont les caractères que ne peut lire Jimin qu'affiche l'une d'entre elles. La pièce est saturée de parfums entêtants, de fleurs grasses et suaves, de lettres baroques. Des affiches froissées traînent sur le sol, une silhouette androgyne se dessinent dans l'ombre de vêtement à froufrous et dentelles. Écrites en lettres nobles, Suga.

- C'est mon nom de scène.

Un beau rôle, se dit Jimin. Il ne répond rien à voix haute, et soulève son pied où s'accroche une affiche à sa chaussure.

Un rire rauque s'écaille soudain depuis l'autre coin de la pièce. Les yeux de Jimin se fixent sur le corps soudain courbé et secoué silencieusement par des éclats jaunes. Yoongi passe sa main sur son visage fardé, et Jimin voit les stigmates de la fatigue et de la lassitude.

- Tu vois, Jimin, tout ça...

Il secoue vaguement sa main vers les artifices colorés et les liasses à peine dissimulées des billets qui dépassent des poches des nombreux costumes.

- ... Tout ça c'est... Du vent. Rien de glorieux. Je t'assure, je ne vaux pas plus que toi.

Et il rit de nouveau, sinistrement et désabusé.

- Pourquoi tu es là alors ?

Jimin le sonde depuis ses mèches. Il ouvre la bouche pour parler. Il ne se souvient plus exactement, mais les mots qui viennent sont :

- Je suis venu te trouver je crois. J'ai besoin de toi.  


***

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