02/07/17 Le mot du jour n°1 : Vultueux

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Le mot du jour n°1 : Vultueux

Se dit d'un visage rouge et bouffi.


La cloche sonne la fin du onzième round. Je marche vers mon coin en titubant. J'appuie mon dos et passe mes bras par dessus les cordes. Immédiatement, mon coach se place devant moi pour m'engueuler. Pourquoi avoir manqué ce crochet gauche ? Et puis ta garde faut la serrer, merde ! Fait attention à son jeu de jambe, nom de dieu !

Pendant qu'il me déblatère son monologue, auquel je ne prête qu'une oreille, deux filles viennent s'occuper de mon visage. Il est vultueux et gonflé. J'ai l'arcade sourcilière ouverte, et du sang me coule dans l'œil. Mes pommettes sont bleues d'avoir reçu tant de coups.

Je savais bien que je n'aurais pas dû accepter. À quarante-trois ans, rares sont les boxeurs qui continuent. Mais il faut dire que le chèque à la clé est alléchant. Et j'en ai besoin. Mais mes muscles ne suivent plus. En face, le gars doit avoir dix, peut-être quinze ans de moins que moi. Il est dans la force de l'âge, agile, rapide et pas trop abimé.

Quand la cloche sonne à nouveau j'ai du mal à me remettre droit. C'est le dernier round. Après celui-là, le jury délibère, le petit jeune l'emporte, et je me retire dignement, sans finir sur un KO. Je le regarde. Il a encore l'air en forme. Chanceux.

Le combat reprend. J'essaie d'appliquer les conseils de mon coach, mais trop vite ça tourne à son avantage. Il saute, esquive, frappe. Alors j'encaisse. J'encaisse et lui il se fatigue à essayer de me mettre à terre. Il aimerait bien, un KO c'est toujours plus spectaculaire, c'est bon pour sa renommée, parce qu'il a encore une carrière devant lui. J'ai honte en me disant que mes enfants doivent être dans le public et voient leur père dans cet état. Ils sont nés trop tard, ils ne m'ont jamais vu au sommet de mon art.  

Alors j'essaie de faire bonne figure. Je place un coup de poing par-ci, un autre par-là . Et il y en a un qui touche. Pas suffisamment pour faire mal, mais suffisamment pour surprendre. On est à la moitié du round. Une minute et demi d'écoulé et autant de temps restant.

Je feinte et je tente un uppercut cette fois. Il se le prend de plein fouet et vacille. Au loin, j'entends le public jubiler. Un direct et un crochet, qu'il évite avec peine. Le public crie plus fort. J'ai l'impression que le cri monte de ma propre poitrine. Puis un coup de poing sauté, qu'il n'attendait pas là. Un crochet gauche. Un droit.

Gauche.

Droit.

Gauche.

Droit.

Je suis sur lui. Il est étalé sur le tapis. Je ne vois même pas son visage tellement je le roue de coup. Je me sens fort. Je sens aussi les mains de l'arbitre, ses mains gantées me saisir pour me tirer en arrière.

Mon adversaire est évacué en urgence. Le public s'est tu, maintenant c'est moi qui jubile. Je vois le visage du jeune homme. Écrasé, bouilli. Son nez fait deux angles. Il lui manque des dents. Et un morceau d'oreille.

On me déclare vainqueur par KO, on m'apporte la ceinture. Derrière cette ceinture, je sais que se cache surtout une grosse somme d'argent. Le genre de somme d'argent qui me mettra, moi et ma famille, à l'abri de la misère pour plusieurs années. Dans le public je cherche mon fils. Je croise son regard. Il est assis. Et dans son regard, là où je cherchais de la fierté, je trouve de la peur.



Le Mot du JourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant