06/07/17 Le mot du jour n°4 : Vidrecome

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Le mot du jour : Vidrecome

Grand verre à boire, circulant autrefois dans les festins, que les convives devaient vider tour à tour.

Je m'asseyais à la table. Elle était élégamment drapée de rouge, ainsi que les couverts d'or ressortent. J'avais ici mes habitudes, et le patron m'apportait chaque soir le même met, méticuleusement préparé par ses soins. Ce soir là, ressemblait à tous les autres.

Comme toujours, tout en faisant honneur à mon repas, je me satisfaisait de ma condition de riche homme. Parfois par la fenêtre, j'apercevais des gueux, traînant leurs loques le long de la route, salissant rien qu'à l'odeur tous les environs. Je n'aurai pu vivre dans ce genre de milieu. Qui ne préférerait, aux vidrecomes les verres de cristal ? Ou à la rouille, le pur éclat de l'or ? Heureusement pour eux, ils se tenaient toujours à distance. Se devait être mon impressionnante stature qui les terrorisait. Je dois préciser ici, que j'avais un physique largement agréable à la vue, et que dans ma jeunesse, j'avais séduis nombre demoiselles.,

En regardant autour de moi, partout dans la salle, je voyais couples et familles dînant. Il est vrai que de ces conquêtes, je n'avais tiré que le plaisir éphémère. Qu'aurais-je donné aujourd'hui pour une femme et deux enfants ?

Peu importait, je vivais en gentilhomme, et j'en était fier. Au plus fertile des pauvres je n'avais rien à envier. J'avais le verbe et la poésie, la force et la carrure, l'argent et la santé, que pouvais-je demandé de plus.

Ce soir plus que les autres, il me fallut me répéter cela pour profiter pleinement de mon repas. Je payais rapidement, et là où habituellement je rentrais chez moi, je décidai de faire un tour. Je faisais un tour de quartier, sans franchir la délimitation tacite que la route formait entre notre monde, celui des honnêtes gens, et le leur,  celui des paysans et des crève-la-faim.

J'attrapais mal au cœur à force de tourner en rond, aussi me décidais-je pour la première fois de ma vie, à traverser la rue. J'avais tout juste posé les pieds sur le trottoir que je fus assaillis par une odeur plus qu'incommodante. J'hésitais quelques temps à faire demi-tour, mais je pris mon courage à demain et continuai. Marchant rapidement, il me semblait croiser que des gens étranges. Chaque ruelle prenait l'allure d'un coupe gorge, chaque passant celle d'un assassin. Ils en avaient plus que l'allure ! Je lisais dans les yeux de ces hommes qu'ils me suffoqueraient pour le contenu de ma bourse.

Après une petite heure de marche, je me détendais quelque peu. Je prenais presque plaisir à déambuler parmi ce cosmopolitisme. J'y voyais des gens de toutes sortes, malgré la déclinaison tardive de la lumière d'été. Je comprenais quelque peu, les artistes et poètes qui prenaient plaisir à se mêler à la foule pour en tirer quelque inspiration qui en faisait des maîtres.

Je m'arrêtais dans un parc fort fréquenté. J'avais lu en y entrant "Square des amoureux", et Dieu ce qu'il portait bien son nom. Impossible de tourner la tête sans voir amants bras dessus bras dessous, impossible de tendre l'oreille sans entendre murmures galants et chuchotements grivois, même l'atmosphère semblait chargée d'un parfum particulier, lourd et entêtant comme peut l'être celui d'une jeune femme imbibée d'eau de toilette.

Je m'asseyais sur un banc, et j'eus beau chercher, je ne trouvai pas un seul célibataire tel que je l'étais.

J'étais seul au milieu de groupes.

Cette nuit fut pour moi une révélation. Je restais ici jusqu'au matin, à cette heure si particulière ou la brume nous empêche de savoir réellement si nous pouvons encore dormir, ou s'il vaut mieux se lever pour déjeuner. Je rentrais chez moi, et je fus ravi devant l'étonnement de mon steward.

"Monsieur est rentré bien tard ! Je me suis fait du soucis."

Je serais sorti tous les soirs seulement pour entendre cette phrase, et j'aurai presque été attendri si je n'avais pas su que cette émotion n'était que façade.

"Vous pouvez partir, je vous relève de vos fonctions, vous êtes libre, voilà votre paye des mois prochains."

J'accompagnais mes paroles d'un geste et sortis une grosse liasse pour la lui fourrer dans la main. Il s'en alla étonné, ne sachant plus où aller.

Pour ce qui me concerne, je fis rapidement un bagage léger avec tout ce qui me tenait à cœur. Je prenais aussi suffisamment d'argent pour démarrer une nouvelle vie, puis je fermais mon appartement. Je marchais quelques pas et me retournait dans sa direction. Ce noble bâtiment aura accueilli ma routine tant d'années, et je l'en remerciais, mais il avait fait son temps, et il n'aura pas de mal à trouver un acheteur.

Je m'arrêtais sur le trottoir face à la route. J'inspirais un grand air de crottin de cheval et de pots d'échappements. Quelles merveilleuses inventions que ces voitures ! Je réfléchis une dernière fois, sachant qu'ensuite je ne pourrait faire volte-face. Je fis un pas.


Je traversai la rue. On ne me vit plus jamais le faire dans l'autre sens.

Le Mot du JourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant