Les Astres de Contrebas

Chapitre 2 - Silane Honestan

Chapitre 2

Automne, 18e jour de Tharès, 19 ans avant l'Achèvement

Silane Honestan

            Le fracas fût effroyable lorsque la casserole de fonte s'écrasa au sol, répandant sur le plancher grossier des litres d'eau bouillante. Morphus, le chat au poil carotte qui avait élu domicile sur le coussin posé à son attention devant l'âtre, se carapata toutes griffes dehors, le poil dressé et bien loin de demander son reste. Il ne fallut qu'une poignée de seconde pour que le bruit des griffes sur le bois ne s'éteigne.

            - Tu as quoi ? articula lentement Silane, ne quittant pas son apprentie des yeux.

            - J'ai ... J'ai fait comme vous me l'aviez dit ! répéta-t-elle. Sortant son calepin des plis de sa jupe, elle l'ouvrit et entreprit d'en tourner les pages d'une main tremblante. Première étape : réhydrater les syphites rouges à l'aide d'eau tiède, proportion un pour un ; deuxième étape : pilonner le mélange obtenu et y ajouter une cuiller d'argile ; troisième étape : appliquer généreusement la pâte argileuse sur la plaie ; quatrième étape ...

            - Quatrième étape : panser la blessure à l'aide d'une gaze, je sais. Le problème n'est pas là, Mérine. Montre-moi donc de quel pot tu as prélevé les syphites.

L'apprentie se dirigea à pas timides vers l'armoire murale la plus proche, celle en pin sylvestre. L'élégance du meuble était douteuse, voire franchement inexistante. Cinq planches épaisses entourées d'un cadre de bois simple se succédaient. Vaine tentative d'ajouter du cachet à sa réalisation, le menuisier en charge de la confection du meuble avait sculpté des pommes de pins dans les coins supérieurs du rangement. A en juger par le rendu, le menuisier en question avait plutôt dû être un apprenti. Sur les planches s'alignaient une multitude de pots d'argile qu'une cordelette tendue à l'horizontale, d'un bout à l'autre du cadre, empêchait de chuter et de se fracasser à terre. Certains étaient scellés à la cire, un moyen comme un autre de s'assurer de la bonne conservation du contenu d'ici l'ouverture du contenant ; d'autres, entamés, fermaient à l'aide d'un épais bouchon de liège. Une étiquette collée sur chacun des récipients renseignait les curieux sur leur contenu : chélidoine, sauge, écorce de bouleau, chicorée, poudre d'argile, miel et algues en tous genres. Parmi ces dernières, les fameuses siphytes rouges. Pratiquement invisible, une seconde rangée était dissimulée derrière la première. Les pots qui la constituaient faisaient office de recharges.

Au ralenti, geste mesuré qui témoignait de son incertitude, Mérine se saisit d'un pot de taille moyenne qui, visiblement, avait été ouvert le jour même. En témoignaient les nombreux lambeaux de cire craquelés sur le bouchon de liège qu'une manipulation fréquente n'avait pas encore délogés. Le récipient, sans étiquette, appartenait à la seconde rangée de la planche et était positionné exactement derrière celui de syphites rouges.

- Nous avions achevé le pot de syphites la semaine passée, vous vous souvenez ? murmura Mérine. Quand le petit de Jeyn s'est ouvert le genou en tombant dans les bois... Voyant que Silane acquiesçait, elle poursuivit. Donc, j'ai pris le pot de la seconde rangée, tout juste derrière ...

Sans le moindre mot, Silane prit le récipient des mains de Mérine et l'ouvrit. Une odeur singulière, doucereuse, emplit immédiatement la pièce. Le récipient d'argile contenait des algues rouges, aucun doute là-dessus. Après en avoir puisé une poignée, Silane ouvrit sa paume et scruta les thalles séchés. Un coup d'œil lui suffit.

- Mérine, ce ne sont pas des syphites, mais des nodusales.

- Non, impossible ... je ... Reprenant contenance, Mérine se redressa. Le pot était placé derrière celui des syphites ! C'en sont forcément !