Chapitre 5 - Forhn

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Chapitre 5

Automne, 18e jour de Tharès, 19 ans avant l'Achèvement

Forhn

QUATRE HEURES PLUS TÔT

Si vous aviez demandé à un Séminariste de quel adjectif il aurait usé pour qualifier la longue et lente succession de journées, de mois et d'années dont le Séminaire faisait l'objet, il vous aurait très certainement répondu : monotone.

Oh, peut-être vous aurait-il incité à discutailler avec lui de la divergence de vos opinions sur ce point. Peut-être aurait-il tenté de vous faire avaler que ses journées étaient palpitantes, rythmées par nombre d'apprentissages complexes et exaltants, sautant sur l'occasion pour vous mettre au fait de certaines théories en vogue. Peut-être même vous aurait-il proposé un tour du propriétaire afin de vous montrer les perles architecturales et technologiques qui ne manquaient pas de l'émerveiller au quotidien.

Mais un tel comportement n'aurait-il pas témoigné de l'ennui profond qui était le sien ? N'aurait-il pas trahi l'humeur égale qui l'accompagnait du soir au matin ?

Pour cette raison, et surtout parce qu'ils savaient qu'ils ne pourraient entretenir l'illusion, la majorité des Séminaristes avait renoncé à se faire passer pour ce qu'ils n'étaient pas : des hommes et des femmes épanouis. Car s'il était vrai que la retraite que leur offrait le Séminaire leur était appréciable à de nombreux points de vue, elle tenait tout autant du carcan que du bénéfice que l'on accueille à bras ouverts. Vivre en marge du monde extérieur les préservait certes des conflits qui ne les regardaient guère et des pairs qui les jalousaient, mais instaurait également un mode de vie des plus anesthésiants pour ceux qui y résidaient en permanence, où hier et aujourd'hui se confondaient volontiers.

En moyenne, les apprentis rejoignaient la communauté séminaristique à l'âge de neuf ans. D'où qu'ils fussent originaires, tous sans exception avaient débuté leur apprentissage en faisant la connaissance d'un accompagnateur, pour le meilleur comme pour le pire. Des jours durant - des semaines pour certains - , ils avaient sillonné vallées ou forêts, déserts ou étendues glacées, avec pour seule compagnie un Séminariste endurci qui n'avait en général qu'une seule idée fixe : rejoindre au plus vite son foyer et s'y délester de ce nouvel apprenti. Arrachés à leur famille en l'espace de quelques instants sur simple présentation d'un document officiel, les enfants étaient emportés loin de leur foyer, contraints à rejoindre une communauté dont ils n'avaient pas demandé à faire partie.

Aussi étonnant que cela ait pu paraître, la majorité des enfants ne demandait pas mieux que de partir à l'aventure - car c'était ainsi qu'ils se représentaient l'exil forcé auquel on les contraignait - . L'occasion pour eux de voir du pays, et surtout, surtout !, d'apprendre à maîtriser la forme de magie la plus puissante et polyvalente de Contrebas : celle des graphes.

Du côté des Séminaristes, l'enthousiasme avait toujours été moindre, car parmi toutes les fonctions qu'un initié était susceptible d'occuper, celle d'accompagnateur était parmi les moins disputées. Fort de leur train-train quotidien, peu nombreux étaient ceux que le poste charmait. Et pour cause : accompagner un nouvel élément, c'était avant tout renoncer au confort de sa couche et aux repas chauds dispensés tous les soirs pour se retrouver à battre la campagne à la recherche d'un enfant que le Maître avait désigné comme apte. Ainsi, force était de constater que de nombreux Séminaristes n'acceptaient d'endosser un tel rôle qu'en vue d'échapper aux corvées autrement plus pénibles qui leur pendaient sous le nez. Entre la peste et le choléra, certains parvenaient à faire un choix.

Les Astres de ContrebasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant