Chapitre 4 - Tenfer

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Chapitre 4

Automne, 18e jour de Tharès, 19 ans avant l'Achèvement

Tenfer

L'auberge de la Quatrième colline était bondée. Tenfer n'avait pas encore esquissé un pas à l'intérieur de l'enseigne qu'un vague sentiment d'oppression le gagnait. La promiscuité l'avait toujours dérangé, et rien que ce mot suffisait à faire naître en lui un profond malaise.

C'est qu'à première vue l'endroit était exigu. Son plafond remarquablement bas vous interdisait de lever les bras au ciel, à moins de souhaiter les récupérer constellés d'échardes. A certains endroits, se tenir debout relevait même du défi : des faisans et des jambons étaient suspendus çà et là, quand ce n'étaient pas des casseroles de fonte. Malheur à celui qui aurait osé tenter sa chance à la table située sous ces bestiaux.

Sculpté dans un bois sain, l'escalier menant à l'étage était des plus biscornus. Idée saugrenue du bâtisseur ou plans mal conçus, il n'en demeurait pas moins que ce dernier se tortillait en tous sens. Au lieu de monter droit vers l'étage, l'escalier longeait le mur un moment puis filait à gauche avant de regagner brusquement la droite selon un angle singulier. Ce zigzag déconcertant se poursuivait jusqu'au pallier permettant d'accéder aux trois chambres de l'auberge. Conséquence de cette improbable construction : où que vous soyez, vous aviez soit un faisan, un jambon, une casserole au-dessus de la tête, soit l'escalier. Seules les filles de salle, deux jeunes adolescentes aux joues roses et fort heureusement pas bien grandes semblaient évoluer sans peine dans cet environnement.

Trois hommes - des amis, cela ne faisait aucun doute - étaient appuyés au comptoir, une chope à la main. Pourtant pas bien épais, ils se disputaient déjà à eux trois le peu d'espace à leur disposition. Des tables alignées face au comptoir, seule une était libre. Evidemment, il s'agissait de celle que surplombaient les casseroles. Evidemment.

Indécis, Tenfer sentait les regards des clients se braquer sur lui l'un après l'autre, curieux et désireux qu'ils étaient de savoir quel était l'abruti qui s'amusait à laisser la porte ainsi ouverte. Derrière lui, un véritable déluge. Devant lui, hé bien ... un endroit où il serait au sec. Prenant sur lui, il se décida à entrer.

Rien ne saurait être pire qu'une telle douchée, se dit-il.

L'atmosphère de l'auberge ne fit qu'une bouchée de lui, et il n'en fut pas mécontent : l'air chaud lui fit un bien fou, et l'odeur de pain frais et de viande grillée qu'il charriait lui mit l'eau à la bouche. Par les Astres, depuis combien de temps n'avait-t-il pas salivé ainsi ?

Les regards le suivirent alors qu'il se dirigeait vers le tenancier, esquivant tables et tabourets disséminés au petit bonheur la chance. L'un des trois hommes accoudés au comptoir eut la décence de lui céder sa place afin qu'il puisse mener à bien son affaire avec l'aubergiste. Tenfer le remercia d'un signe de tête et d'un sourire qu'il espérait amical. Le tenancier fut le premier à prendre la parole :

- Une bonne soirée à vous, messire ! Excusez les regards appuyés de mes compagnons : nous n'avons pas l'habitude d'avoir de la visite, par ici !

Il se dégageait de l'homme une bonhomie et une camaraderie qui contrastaient singulièrement avec l'attitude du vieillard de la porte. Satisfait à l'idée d'avoir affaire à un homme aussi enthousiaste, Tenfer rabattit la capuche de sa cape de voyage sur ses épaules. Il dévoila ainsi des yeux d'un noir profond surmontés de sourcils broussailleux, un menton décoré d'un bouc impeccable et un crâne chauve. Tout en lui criait qu'il était un Séminariste.

- Il n'y a pas de mal, l'ami ! La curiosité est la première des qualités que nous encourageons, mes compagnons Séminaristes et moi-même, pour autant qu'elle ne fasse pas place à de l'ingérence.

Les Astres de ContrebasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant