Partie 1 - Luna

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Un chat reste un chat


« Quel con. »

L'espace d'un instant, j'aurais presque pensé que ma meilleure amie s'apprêtait à cracher sur l'écran de mon iphone tant ce qu'elle venait d'y lire l'avait dégoûtée.

Cela eut le don de m'arracher un petit sourire autant amusé que résigné.

« Ouais... soupirai-je alors, le regard dans le vague. Enfin, c'est pas comme si ça m'étonnait. Mais je ne pensais pas qu'il s'arrêterait à mon physique après avoir passé deux mois à discuter sans arrêt avec moi...
- T'es vraiment une fille bien qu'il a dit cet enfoiré, répéta-t-elle en effectuant une ribambelle de mimiques exagérées. Mais de qui il se fout celui là ?! Merci, mais on le savait déjà ! »

Inaya me rendit mon téléphone, les doigts crispés de rage, tout en posant sa tête sur mon épaule droite. Elle souffla alors longuement en regardant le tableau au pied de l'amphithéâtre vide dans lequel nous nous étions installées. Nous avions pris l'habitude de venir squatter ici après les cours depuis nos débuts à l'université afin de faire notre petit debrieffing de la journée ; on appréciait de se retrouver pour discuter de tout et de rien.

Aujourd'hui, "rien", c'était Mike.

Mike était un garçon avec qui j'avais sympathisé en fin de première année, sur un chat où pas mal d'étudiants de l'université aux intérêts communs avaient l'habitude d'échanger. On avait accroché en parlant beaucoup littérature, et puis de fil en aiguille on s'était naturellement donné nos numéros. Le matin, le midi, le soir, parfois même en pleine nuit, j'avais eu l'impression que pas un instant ne s'était écoulé entre juin et septembre sans que la sonnerie de mon téléphone ne m'ait annoncée un message de sa part. Le feeling était bien passé, beaucoup trop bien. Plusieurs fois, j'avais senti ses sous-entendus sur notre relation, compris qu'il aurait aimé que l'on se rencontre au retour des vacances d'été. Et ce n'était pas pour me déplaire, c'est vrai. J'avais flashé.

Mais un soir, il m'a demandé une photo de moi. Et... voilà. A bien y repenser, je n'étais même pas sûre que son vrai nom soit bien Mike, et avec du recul je ne savais pas tant de choses sur lui. On avait le même âge, on appréciait les mêmes choses, et puis après ? après... je l'ignorais. Je ne sais pas ce qu'il m'avait pris d'espérer qu'il ne s'arrêterait pas à mon surpoids comme tous les autres. Je ne valais qu'un flirt, dans le meilleur des cas.

Et dire que je n'avais même pas vu son visage. Il m'avait bien eue.

« Bien sûr que tu es une fille bien... lança soudainement ma meilleure amie, brisant le silence. Tu es gentille, drôle, intelligente, responsable, tu es très belle...
- Mais je suis grosse.
- Ronde ! Tu es ronde ! Bordel ! Tu recommences à utiliser ces mots péjoratifs.
- Faut bien appeler un chat un chat non ? »

Inaya se redressa subitement pour me fusiller de son regard noir comme une nuit sans lune.

« Tu vas relancer ce débat ? Pour l'amour du ciel, désinscris-toi du site de l'école ! Y a que des cons là-dessus !
- Ça c'est sûr... »

Malgré moi, j'avais toujours les yeux rivés sur les derniers sms que « Mike » m'avait envoyée. Puis, d'un geste sec, j'ai verrouillé mon téléphone et l'ai rangé dans mon sac avant de fixer le toit vitré de l'amphithéâtre ; il pleuvait.

J'avais été vraiment naïve. Bien sûr qu'il ne pourrait pas faire abstraction de ma taille 44 et de mes pulls XL à peine trop larges pour moi. Je ne sais pas réellement ce que j'espérais... peut être que ce qu'Inaya me répétait à longueur de journée m'avait redonné de l'espoir. Que j'avais un joli visage, que ma personnalité était ce qui me faisait rayonner, que certaines personnes n'étaient pas si obsédées que ça par un ventre plat... que je n'étais pas non plus obèse ! Peut-être. M'enfin, ce n'était  sûrement pas la première ni la dernière fois qu'un homme me rejetait pour mes rondeurs, et je savais que pour mon propre bien, il fallait que j'y fasse abstraction. Je m'aimais comme j'étais, même si je manquais parfois d'assurance, et je refusais de changer ce ressenti pour qui que ce soit.

Combien pèse l'amour ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant