Combien pèse l'amour ?

Partie 4 - Vito

Billets & chewing-gum

« Vingt, quarante, soixante, soixante-cinq, soixante-quinze, quatre-vingt-quinze... cent vingt-cinq... cent soixante... »

Un billet me glissa par mégarde des mains et tomba sur le vieux carrelage crème de la cuisine, tandis que je continuais de compter, imperturbable dans mes calculs. Puis, vigilant à ne pas faire tomber une des piles de billets que j'avais soigneusement triés selon leur couleur, je ramassai les dix euros qui avaient tenter de s'échapper, et me mis à regarder fixement le papier d'un rouge usé par le temps.

« Où tu penses aller comme ça ? »

J'avais soupiré longuement en le posant en haut de la pile à laquelle il appartenait.

Cinq minutes plus tard, j'avais terminé de faire mes comptes, et m'adossai sur la chaise d'un air aussi désespéré qu'exténué. Mes yeux scrutaient d'un air vague la table pleine de toutes mes économies.

Le constat était sans appel : ce n'était clairement pas suffisant. Entre l'assurance de la voiture, l'essence, le loyer, les courses, la facture téléphonique et toutes les conneries annexes de la vie courante, je n'étais pas prêt de réduire le trou dans le budget du mois qu'avait causé la panne de ma clio. L'emmener au garage, ça m'avait carrément coûté un bras, et résultat il manquait au moins deux cent euros à l'appel...

Deux cent euros...

« Aaaaah bon sang... »

Frustré de repenser à cette fille pour laquelle j'avais perdu une soirée entière, je rangeai brusquement toutes mes économies dans leur boîte et les remis d'un geste désabusé sous mon lit de fortune aka le canapé du salon. 

En réalité, je n'avais rien contre cette Luna, elle m'avait l'air d'une fille assez sympa, en plus d'être une bosseuse acharnée. Mais dès l'instant où elle m'avait annoncé que sa copine serait avec nous pour faire la paperasse, j'avais compris qu'elle avait mis un stop clair à toute romance. Enfin, je veux dire, quelle fille intéressée ramène sa copine à un possible tête à tête ? J'en avais été soulagé quelque part, c'est vrai ; je ne la connaissais pas et j'étais embarrassé au possible à l'idée de devoir la séduire, mais j'avais besoin de ces deux cent euros. Mais après avoir vu la déclaration d'amour de ce Mike, j'avais tout de suite compris que j'avais perdu d'avance. C'était bien ma veine !

Luna avait tenté de faire la fille impassible devant le message, elle ne l'avait même pas balayé lorsqu'il était apparu en haut de l'écran ; elle voulait certainement ne pas laisser paraître le fait qu'il l'avait bouleversée. Mais s'il y avait bien une chose que j'avais appris sur cette fille durant cette soirée, c'était qu'elle était transparente à souhait. Sûrement malgré elle, il avait été aisé comme tout de lire sur son visage chaque émotion qui traversait son cœur, et ce à chaque instant. D'abord le choc, puis l'incompréhension, et enfin la gêne. Sa meilleure amie avait bien tenté de détourner l'attention de cette déclaration inattendue, mais c'était sans succès : j'avais vu, tout comme elles. 

Et j'avais également vu mes deux cent euros me passer sous le nez par la même occasion.

Après un moment dans la lune à repenser aux joues pleines de cette fille qui étaient restées rouges durant tout le reste de la soirée, un bruit provenant de la pièce voisine – la seule chambre de l'appartement –, me sortit de mes pensées. Tout en me levant de ma chaise, je réalisai que je devais me faire une raison : elle avait une histoire d'amour, et je refusais de m'immiscer davantage dans sa vie, encore moins pour une raison aussi stupide que son poids. 

Tant pis...

« Ça va, maman ? »

L'ayant entendu tousser violemment quelques secondes auparavant, je m'étais posté dans l'encadrement de la porte de sa chambre pour m'assurer qu'elle allait bien. Allongée au fond du lit simple, recouverte jusqu'au cou, les joues rouges comme tout, elle m'envoya un sourire qui se voulait rassurant.