Un destin entre deux pages

• Chapitre 17 •

''On ne peut pas rattraper le temps perdu mais on peut arrêter de perdre son temps''
Jennifer Lawrence

Nous ne parlons pas de tout le trajet, même lorsque nous franchissons le portail du collège. Nous entrons dans la cour, côte à côte.

Je me dirige directement vers les garçons tandis que Jess se tient un peu en retrait. Je fais la bise à Alex' et à Eliott, puis me dirige vers Léo. Dès qu'il me voit approcher, il se relève et me prend dans ses bras, rassuré. Je crois que je lui ai fait peur, à partir sans prévenir ce matin. Je lui avais laissé un mot, mais comme je ne savais pas à quoi m'attendre avec Jess, je lui ai simplement écrit que je partais petit-déjeuner avec une amie, et qu'il ne fallait pas qu'il s'inquiète.

Il semble rassuré de me tenir entre ses bras, et me vole même quelques baisers. Il se détend instantanément lorsque j'y réponds, mais m'adresse tout de même un regard désapprobateur lorsque je me dirige vers les casiers pour accompagner Jess.

J'aimerais qu'elle se confie à moi, qu'elle m'explique pourquoi elle a brusquement ouvert les yeux. Je veux savoir comment elle a fait pour se rendre finalement compte que Mathilda n'est qu'une petite prétentieuse qui collectionne les histoires sans lendemain. Je n'arrive même pas à me sentir coupable lorsque je me dis que si elle a brisé le cœur de Jess, c'est bien fait pour elle. J'aimerais, même. Je sais que c'est méchant de ma part de souhaiter qu'elle soit aussi affectée que je l'ai été, mais c'est inconscient. Ça m'aidera peut-être à lui pardonner. J'aimerais qu'elle soit aussi blessée que moi, pour qu'elle se rende compte à quel point ça fait mal. A quel point c'est douloureux de se sentir trahie par celle en qui tu avais entièrement confiance.

Mais ça, je sais que c'est impossible. Tout simplement parce qu'elle ne semble pas pouvoir être blessée autant que moi. Plus forte, plus solide. Juste un peu plus déterminée peut être. Je ne comprends pas ce qui lui permet de tenir debout en toutes circonstances.

Lorsque Jess a rangé ses affaires dans son magnifique casier orange fluo, nous nous asseyons sur un banc un peu à l'écart pour discuter de choses et d'autres. Ce n'est pas aujourd'hui que je lui demanderai pourquoi elle a changé d'avis si subitement. J'aimerais bien que l'explication vienne toute seule, mais je me doute que si je ne la bouscule pas un peu, Jess ne me dira rien de plus.

En attendant, je préfère lancer le sujet qui me tracasse le plus, mon rendez-vous d'après-demain. Je redoute cette rencontre au moins autant que je l'attends. J'ai peur de me tromper en faisant une chose pareille derrière le dos de ma mère, mais en même temps, elle me cache la vérité depuis trop longtemps. Jess est d'accord avec moi, je n'ai rien a perdre en y allant. Au pire, je n'aurais aucunes réponses, et au mieux... J'aurais un semblant de père, ainsi que la vérité, ou une partie de la vérité.

Nous finissons par nous taire, lassées de ressasser des choses qui ne changeront jamais. Le temps où nous refaisions le monde à chaque occasion semble lointain. Et pourtant, il y a quelques mois encore, j'étais toujours cette fille innocente, un peu à l'écart et qui ne jurais que par sa meilleure amie. Une fois encore, je m'aperçois à quel point j'ai changé depuis le début d'année. Enfin... Changer... C'est un bien grand mot. Je me suis rapprochée de celle que j'ai envie d'être, ça c'est sûr, mais je ne sais pas si je peux réellement dire que j'ai changé.

Au bout d'un moment de silence, Jess se lève puis s'en va. Elle m'a proposé de la suivre je ne sais où, mais j'ai refusé. Je reste là, seule, assise au milieu du banc, à observer les 6e qui jouent au foot et les autres qui discutent, en bandes ou en petits groupes. Le ballon s'envole, comme mes pensées. Sauf que lui, il va se nicher dans un arbre, alors que mes pensées dérivent vers les nuages. Rien ne peut les arrêter, comme souvent en ce moment. Je ne cherche même pas à savoir où elles vont, je n'essaie pas de les arrêter. Elles reviendront, quand elles le voudront.