24. Lo siento, te quiero

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Comme dotés d'un sixième sens pour prédire la fin du cours, les lycéens de ma classe ont déjà rangés leurs affaires quand la sonnerie retentit.

— Nous reprendrons l'étude du texte de Voltaire lors de notre prochain cours. Je ramasserai au hasard les devoirs de dix d'entre vous, clamé-je haut et fort pour être entendue au-dessus du brouhaha général.

Des « oh » de protestation fusent alors qu'un à un, mes étudiants quittent la salle de cours. Ma journée de travail s'achève enfin. Mais alors que mes tracas d'Assistante en langue française s'éloignent, ils sont rapidement remplacés par un milliard de pensées déprimantes et douloureuses.

Il s'est écoulé une dizaine de jours depuis que j'ai... que j'ai découvert le « pot aux roses ». Pour m'occuper et ne pas songer à tout cela, je me suis comportée comme bon nombre de personnes avant moi, je me suis noyée dans le travail. Avoir l'esprit occupé par la littérature française m'a permis de ne pas totalement sombrer dans la dépression.

Je refuse de me morfondre à cause de Nate. Je me sens déjà assez pathétique comme ça. Et penser sans cesse à lui ne m'aidera pas à tirer un trait sur toute cette histoire. Pourtant j'ai beau m'occuper, j'ai beau m'ingénier à le chasser de mon esprit, je n'y parviens pas.

Je suis d'autant plus amère qu'il n'a même pas tenté de me contacter. Pas un coup de fil, pas un e-mail, même pas de message sur Facebook. Évidemment cela n'aurait été d'aucune utilité et rien de ce qu'il imaginera ne pourra me pousser à lui pardonner. Mais cela aurait été la preuve qu'il s'en voulait, qu'il regrettait, qu'il éprouvait une once de remord à mon sujet.

Mais non, silence radio.

Il est certainement en train de poursuivre les restaurations de son vaste manoir sans se demander si j'ai fini par avaler toute une tablette d'antalgiques, à défaut d'avoir trouvé des barbituriques. Mieux encore, il a sûrement repris l'écriture de son grand ouvrage après la scène de fin que je lui ai offerte. Mon dernier éclat lui a apporté sur un plateau d'argent l'inspiration nécessaire pour gribouiller quelques pages.

— Adelia ?

Je sursaute et manque de me cogner la tête en refermant mon casier en salle des professeurs. Devant moi se tient Miss Georgia Owen, professeure de français et d'italien au lycée de Tralee. C'est elle qui a supervisé mon stage depuis mon arrivée avec bienveillance et pédagogie.

— Voici le document que ton université m'a transmis afin que je le remplisse. J'espère que ça te conviendra.

Je saisis les quelques feuillets qu'elle tient en mains, parcours en diagonale pour vérifier que tout y est avant d'acquiescer.

— Tout m'a l'air en ordre. Merci Georgia !

— Je t'en prie. Si nous pouvions accueillir des assistantes aussi dévouées chaque année, ce serait le bonheur.

— Merci, c'est adorable.

— Non, c'est amplement mérité. Si ta carrière dans le milieu de l'édition ne fonctionne pas, sache que tu te reconvertiras aisément dans l'enseignement, m'affirme-t-elle avec une gentillesse sans limites.

Ce n'est pas la première fois qu'elle essaye de me convaincre que ma destinée se trouve plus dans un lycée que dans une maison d'édition. D'autant plus que mon stage en Irlande arrive à son terme et il ne serait pas une mauvaise idée de songer sérieusement à me lancer sur le marché de l'emploi.

— Promis, je garde l'option dans un coin de ma tête. À demain, lui dis-je en attrapant mon sac posé sur une chaise.

Quino m'attend derrière le volant de notre petite Fiat. Après m'avoir croisée dans un état lamentable durant ces dix derniers jours, il a insisté pour que nous sortions ce soir. Il paraît que j'ai besoin de me changer les idées.

Perfectly Imperfect (Imperfection #1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant