26. Conjuguer au passé

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Debout devant moi, ses yeux clairs et perçants me fixent comme s'ils sondaient la profondeur de mon âme. Le choc me paralyse et je conserve ma position ridicule ; mes chaussures pestilentielles dans une main et le ventre obstinément à l'air. Après dix jours de silence radio, après dix jours de souffrance interminable, après dix jours à le haïr de tout mon cœur... Après dix jours de trop, voilà que Nate apparaît comme s'il avait le droit de se tenir devant moi.

Comme s'il avait le droit de me regarder sans sourciller, sans ressentir le besoin de se repentir. D'un geste fébrile, je repousse le bas de mon t-shirt et libère mon nez.

— Qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu as une panne d'inspiration ? lui lancé-je, chaque mot dégoulinant de rancœur.

— Adelia...

— Tu sais quoi ? Tu t'es déplacé pour rien. Je n'ai aucune envie de te revoir, lui balancé-je.

Je tremble de la tête au pied et si je ne contracte pas les muscles de ma mâchoire, je suis certaine qu'on entendra mes dents s'entrechoquer.

Mon système limbique, véritable centrale nucléaire du cerveau régissant les émotions, décide qu'il est plus qu'opportun pour lui de se manifester à ce moment.

Je suis furieuse contre lui, absolument furieuse, et pourtant je ne peux m'empêcher de constater à quel point mes souvenirs ne lui ont pas rendu justice. Vêtu d'un polo noir tout simple dont le tissu révèle, plus qu'il ne couvre, le physique athlétique du jeune homme, Nate est comme toujours canon. Canon à vous filer le tournis. Canon à vous tordre l'estomac. Canon à vous rendre comme moi : aveugle.

— Juste deux minutes... accorde-moi juste deux petites minutes ! me supplie-t-il presque.

Deux minutes ? J'écume littéralement de rage. Il pense sincèrement que seulement deux ridicules et malheureuses petites minutes lui suffiront à expliquer ses motivations, à l'excuser ? Ai-je l'air réellement d'être idiote et naïve à ses yeux ? Crédule au point d'en être pathétique ? Je relève mon poignet gauche à hauteur de mes yeux et observe ma montre imaginaire.

— C'est vraiment dommage, si tu m'avais demandé une minute, ç'aurait été négociable. Mais navrée, je n'ai pas deux minutes à t'accorder.

Et tu arrives trop tard, bien trop tard si ton but est que je te pardonne, songé-je en déglutissant avec difficulté.

Stupide, stupide, stupide gorge nouée ! Je me détourne de lui, parce que l'observer trop longtemps est bien plus que ce que je suis capable d'endurer.

— Je suis passé. Tous les jours. Mais ta colocataire – Anja, c'est ça ? – est un véritable cerbère. J'imagine qu'elle ne t'a transmis aucun de mes messages ? enchaîne rapidement Nate.

J'ai de la chance de lui tourner le dos, car je suis incapable de camoufler ma surprise. Il est venu ? Tous les jours ? Cette nouvelle m'attendrira-t-elle ? Absolument pas ! Rien de ce qui coule de ses lèvres tentatrices n'est digne de confiance. Aucun mot qu'il prononcera à présent ne réussira à me convaincre de son innocence. Je suis simplement persuadée qu'avoir perdu sa principale source d'inspiration l'a retourné.

Ce qui me touche, en revanche, c'est la belle preuve d'amitié d'Anja.

Encore une fois.

Elle a tout gardé pour elle et pourtant pendant tous ces jours où je me suis morfondue, elle s'est arrangée pour que je ne me doute de rien. Je pansais mes blessures tranquillement pendant qu'elle s'occupait d'éloigner la cause de tous mes maux. Dans l'ombre, telle une mystérieuse justicière masquée des cœurs brisés, elle s'est chargée de me protéger de lui.

Perfectly Imperfect (Imperfection #1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant