27. Vivre au présent

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J'étouffe un bâillement sonore tout en baladant du bout de ma cuillère un morceau de tiramisu aux framboises dans le ramequin juste devant moi. D'une oreille distraite, les yeux dans le vague, j'écoute mon interlocuteur... mon ennuyeux et arrogant interlocuteur... depuis au moins soixante minutes.

Anja me doit une bien belle chandelle. Je ne sais pas pourquoi ni comment, mais elle m'a persuadée qu'accepter un blind date serait peut-être une bonne idée. Quand elle m'a proposé de rencontrer un de ses collègues, Greg, je n'étais pas très enthousiaste. Et puis j'ai accepté ce rencart, plus pour la rassurer qu'autre chose. Mais c'est bien la première et dernière fois que je commets cette erreur. Apaiser son ancienne coloc' en acceptant un rendez-vous galant à l'aveugle est de loin la pire idée.

Depuis que nous avons quitté Tralee, il y a de ça un peu plus de sept mois, Anja n'a eu de cesse de s'inquiéter pour moi. Je crois que, pire que mes parents, elle a réellement craint que je parte vivre seule dans une grande ville comme Londres.

Il est vrai que je n'ai pas toujours été la fille enjouée qu'elle a connue au début de notre collocation. Pendant nos premiers mois à Londres, elle m'a souvent retrouvée chez moi, emmitouflée sous ma couette, parce que j'avais entendu une info concernant Nate Calvin et ça m'avait filé le bourdon. Mais aujourd'hui, j'affirme avec fierté que tout ça, c'est de l'histoire ancienne. Enfin presque ancienne...

Après ma dernière rencontre avec Nate, j'ai d'abord cru que ma vie ne serait plus jamais normale. Et puis mon mémoire de fin d'études à cette même période m'a pas mal occupé l'esprit. À dix jours de la date de soutenance, j'avais réussi à décrocher un entretien d'embauche pour Blackcity Editions dans la capitale britannique ; cela avait été la parade idéale pour ne plus penser à lui.

Alors est-ce que je peux affirmer, en me regardant dans une glace, que je suis définitivement guérie ? Non. Presque. Je ne sais pas si c'est normal, mais depuis que j'ai emménagé à Londres, aucun mec n'a trouvé grâce à mes yeux. Vraiment aucun. Pas de quoi m'inquiéter, nous n'avons rompu que depuis quelques mois. Le temps est censé guérir tous les maux, y compris les blessures du cœur. Et sept mois, sur l'échelle du temps, ce n'est rien.

Je prends congé de Greg, non sans avoir décliné un peu sèchement un autre rendez-vous, puis me hâte pour retourner au bureau. Cet homme a plus besoin de consulter un psy que de se trouver une petite-copine. Ou alors il faudrait qu'elle soit sourde. Ou qu'elle ait une tolérance surdéveloppée pour les nombrilistes de son genre... qu'elle soit sourde surtout. Seule la surdité permet de supporter un mec aussi narcissique.

Il est à peine 13 h 30 quand je passe les portes automatiques de Blackcity. L'affluence y est impressionnante. Jamais autant de monde ne s'est engouffré au même endroit, en même temps. Ce qui ne présage rien de bon, moi qui comptait prendre l'ascenseur pour atteindre mon bureau situé au onzième étage.

Je réussis à trouver une petite place au fond de l'ascenseur, entre deux grands gaillards qui me donnent l'impression de ne pas dépasser 1 m 39. On pourrait croire qu'une crise économique a lieu. En réalité, toute cette effervescence inhabituelle s'explique facilement. La rumeur gronde au sein de la maison d'édition qu'un gros contrat se prépare. Par gros contrat, j'entends le contrat de la décennie. Il semblerait que le best-seller de l'année serait publié par Blackcity. Encore plus phénoménal que la saga Twilight ou Harry Potter. Du moins, c'est ce qui se chuchote entre ces murs. J'espère que j'aurais l'occasion de le lire en avant-première, même si je suis tout en bas de l'échelle sociale ici. Il faut bien qu'il y ait quelques minuscules avantages à travailler pour cette maison d'édition.

— Mademoiselle Maillard, pourriez-vous me lancer les impressions du contrat O'Brien ? me demande Seraphina Littman, ma boss.

J'ai à peine eu le temps de retirer mon manteau.

Perfectly Imperfect (Imperfection #1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant