« Dear Dad »

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Papa,

Je vois ton visage dans les rues. Comme si tu te promenais, seul, au hasard des lumières de la ville. Je sens ton odeur à la maison. Comme si tu te préparais pour m'emmener rouler la vitre ouverte au hasard des routes. J'entends ta voix de ma chambre. Comme si tu étais dans le salon, la télé allumée, ton rire au hasard des programmes. La nuit tombe et le sommeil arrive en courant. Ton parfum sur mon doudou, enroulée dans ton plaid, les pensées rivées sur toi, je m'endors en t'imaginant tout près de moi. 

Et parfois, je rêve que tu n'es pas parti Papa. Je rêve que tu as pris la voiture et que tu roules les fenêtres ouvertes dans la nuit étoilée, une clope à la bouche avec tes folies pour seul bagage. Mais tu vas revenir de cette échappée et tout me raconter dans les moindres détails, le sourire aux lèvres, les yeux brillants. Si seulement, Papa, si seulement. 

Et parfois, je fais un cauchemar. Je revois ton corps à l'hôpital, à la veillée, dans le cercueil. Je te revois tomber dans les flammes dans l'enfer et j'imagine tes cris. Pourquoi, Papa, pourquoi ? 

Le cancer, c'est une simple anomalie des cellules. Puis cette simple anomalie t'empêche de respirer, se propage dans ton corps entier et emmène avec lui ton dernier souffle. Un jour, on m'a dit « Chacun a un cancer qui rôde en lui, c'est comme un jeu. Tu le perds quand le cancer se réveille. Le problème de ce jeu, c'est qu'une fois le cancer réveillé, on a beau dire, il n'y a aucun retour en arrière possible. ». J'avais traduit cette phrase, silencieusement, dans le noir. Et je croyais que cela signifiait que quand t'as le cancer, la seule façon d'y échapper, c'est de mourir. Et j'avais sûrement raison. 

Tout allait si bien, avant. Puis il s'est révélé que ton cancer était réveillé depuis longtemps, sans que personne ne le voit. Vicieux, n'est-ce pas ? Quand on l'a découvert, tu étais déjà tout métastasé et aucune chimio ne faisait fuir cet intrus. Malgré ça, tu restais fort. Mais ton état se dégradait à vue d'œil. Arriverait un moment où rien n'irait plus. Un moment que je redoutais. 

Tu sais, quand je suis partie en Espagne, j'avais une boule au ventre. J'avais peur de ne pas te retrouver en rentrant à la maison. Et lorsque j'ai eu ta voix au téléphone, toutes mes angoisses se sont envolées. C'est comme si tu avais été là, en Espagne avec moi pendant quelques instants. Toi et ton humour défiant toute imagination. « Tu manges bien au moins ? » m'as tu demandé. Nos rires se sont mélangés, pour la dernière fois.

 À mon retour, ma pire angoisse s'est réalisée. Rien n'allait plus. Tu n'étais plus toi. Tu refusais de me voir, pour me protéger, soit disant. 

Puis, tu as rendu les armes. Le combat est fini pour toi, mais ne fait que commencer pour nous. Tu es parti sans me dire au revoir. 

On m'a dit « Tu as eu la chance de t'y préparer ». C'est une chance de t'avoir vu mourir à petit feu ? Est-ce vraiment une chance ? J'aurais préféré ne rien voir du tout. 

On m'a dit « Il est mieux là où il est, il ne souffre plus ». Nous, nous souffrons de ton absence. 

On m'a dit « C'est injuste, hein ? » L'injustice n'est-elle pas le cancer qui t'a dévoré pendant presque deux ans ? 

On m'a dit « Il est parti trop tôt » Je sais. J'aurais aimé t'avoir pour l'éternité. 

On m'a dit tellement de choses. Des mots dépourvus de sens. 

On m'a demandé « C'était quoi le plus dur dans cette épreuve? » J'ai souri et simplement répondu « Tout était dur. Rien n'a été facile, rien n'est facile, rien ne sera facile. » Les mots brûlaient mes lèvres. L'envie de tout raconter me démangeait. Mais je n'ai rien dit. Auraient-ils compris ? Je crois qu'il y a eu des moments, effectivement, plus durs que les autres. La vue de ton corps à l'hôpital. Le salon funéraire, les moments où j'étais seule avec toi tout particulièrement, je te voyais bouger, respirer, cligner des yeux, j'ai même cru t'entendre ronfler ; tu avais tellement l'air de dormir, je n'avais qu'une envie : te secouer pour te réveiller. La vue de ton corps dans le cercueil, je l'ai secoué plusieurs fois, espérant te réveiller. La fermeture du cercueil, à laquelle je n'ai pas assisté mais qui me hante, comment ont-ils pu m'arracher à toi pour t'enfermer dans une boîte, toi qui n'aime pas les endroits clos ? La cérémonie, malgré qu'elle fut belle, les souvenirs qui remontent au fur et à mesure des écrits. La descente du cercueil dans un espèce d'ascenseur pour t'emmener au crématorium. La crémation qui est, je crois, le moment le plus douloureux. Comment ont-ils pu t'envoyer brûler dans les flammes sur Sweet Was My Rose ? Comment peuvent-ils te réduire en cendres ? La vue de l'urne avec l'envie de l'ouvrir, de regarder les cendres, souffler et te laisser voler de ton propre chef autour du monde. Peut-être qu'ainsi tu serais redevenu toi. La mise de l'urne dans le caveau familial. Des moments qui deviennent des cauchemars tournés en boucle dans ma tête. 

Quand je regarde les étoiles, je me dis que tu es là quelque part. Que tu me vois. Que tu m'entends. Que tu veilles sur moi. Que tu me protèges. Que tu me guides. Que tu seras toujours présent. Il y a un infini d'étoiles dans le ciel, mais la tienne illuminerait le ciel à elle seule. Elle brille de mille feux. 

« Maintenant, il faut se souvenir ». Et commence une farandole de « Je me souviens... » Des souvenirs, tu nous en a laissé plein. La vodka coca. Les couverts jamais croisés. Le pain à l'endroit. Ta façon de dire non, avant tout. Crozon. La gym. Fort-Bloqué. L'amour pour les voitures. Tes expressions dépourvues de sens, mais tellement drôles. Mais surtout, surtout, les blagues. Tes blagues. 

Pourtant, moi, je n'ai pas envie de me souvenir Papa. Je n'ai pas envie de parler de toi au passé. « Il était.. » Non, non, il est. Et il sera toujours.

En ton honneur, ce soir, j'ai décidé de publier des lettres. Les lettres que je t'ai écrites. Seule, face à mon papier froissé, je te parlais. Et tu semblais si proche. Pourtant, tu étais déjà loin. 

Ces lettres devaient rester un secret. Mais qui garde un secret jusqu'à la fin ? Personne. 

Alors, Papa, prépare toi. Ce soir, je vais te dévoiler ce que j'ai ressenti pendant tous ces moments si difficiles. Toute cette amertume que je garde en moi et que j'ai tu pendant trop longtemps. 


N'oublies pas que je t'aime fort. 


PS: tu vas où avec ton vélo sans lumière?


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Cette lettre ouvre le recueil.

Les autres remonteront dans le temps. 

Merci <3


 Amicalement, 

Maloski


Dear DadOù les histoires vivent. Découvrez maintenant