Magnifique cérémonie

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     Papa,

Hier, c'était la cérémonie. Pendant un instant, au milieu de cette foule venue te pleurer, je t'ai vu. Tu étais là. Debout, perdu, seul. Tu ne me regardais pas. Tu fixais autre chose. Et c'est là que je l'ai vu. Ton cercueil. Tu fixais ton cercueil. Et je l'ai fixé à mon tour. Étais-tu vraiment à l'intérieur ?

Je crois que cette journée restera à jamais gravé dans ma mémoire. L'horreur de ces sentiments. De cet adieu.

Je secouais doucement ton cercueil espérant te réveiller. Mais tu n'as pas voulu te réveiller, Papa.

Avant la fermeture du cercueil, Maman répétait « Je ne veux pas ». Moi non plus, Maman. Je ne veux pas qu'on l'emmène. Je ne peux pas supporter cette idée. L'idée qu'il soit loin de nous. Qu'il ne soit plus présent au sein de notre famille. Elle n'a pas voulu qu'on assiste à la fermeture. Pourtant, ce moment me hante. Je les imagine t'enfermant dans un cercueil clos. Sans air. Toi qui détestes les endroits fermés. Avec ces quatre clous. Quatre clous nous arrachent à toi. Quatre clous m'arrachent le cœur. Comment peuvent-ils me faire ça ? Comment peuvent-ils t'emmener loin de moi ? Ils n'ont pas le droit. Personne n'en a le droit.

Tu sais, avant la cérémonie, j'ai vu plein de gens. Mais par-dessus tout, j'ai vu cette copine. Cette amie d'enfance. Que tu connaissais bien, mais que j'avais perdu de vu. Pourtant, elle pleurait, Papa. À chaudes larmes. Mon cœur s'est brisé un peu plus. Je m'en suis voulu de lui faire subir ça. Je t'en ai voulu de nous faire subir ça.

La cérémonie était magnifique, Papa. Gaëlle, Nolwenn et moi, on t'a récité un petit poème. « et nous crions que nous t'aimons ». Je crie que je t'aime mais, ma voix se perd dans l'oubli, ma seule réponse reste mon écho. Et tu sais, j'allais prendre la parole quand le micro m'est tombé dessus. « ah c'est encore une farce de Gwenaël ! » a plaisanté le maître de cérémonie. Mais moi j'y crois dur comme fer. C'était toi, hein Papa ? Je te sentais près de moi. Comme pour m'encourager. Me dire que tout irait bien.

Pendant la chanson Les Copains D'abord, je t'ai imaginé sur la scène. Devant nous. Tu riais, tu riais. Et pour nous faire rire aussi, tu faisais l'idiot. Tu mimais la trompette. Cela me faisait toujours rire. Et même cette après-midi. J'ai étouffé un léger rire. Gaëlle aussi. J'ai compris qu'elle aussi t'imaginer en train de faire le clown. Je n'aime pas les clowns, mais toi je t'aime. Et tu es mon clown préféré.

Le plus beau moment de la cérémonie a sûrement été quand on s'est tous levé. Tous les cousins. Tous les « jeunes » de la famille. Même Arnaud était là. Et tous ensemble, on a bu une vodka coca. Quel bel hommage. J'espère que de là-haut, cela t'a fait sourire.

Mais le pire est à venir.

J'ai vu cet ascenseur t'avaler. T'avaler pour t'emmener vers le crématorium. Je n'ai pas voulu partir, je suis restée regarder le sol fermé. Cette trappe. J'ai cherché comment l'ouvrir. Mais je n'ai pas trouvé. Je suis désolée, Papa. Je n'ai pas trouvé comment te récupérer.

Dehors, mes copains étaient là. Anaïs était là. En la voyant, je me suis entendue lui dire « T'inquiètes, tu rencontreras mon père quand il ne sera plus malade ». Tu n'auras pas connu ma meilleure amie. Ta maladie ne t'a pas laissé rencontrer mon Chat. Elle m'a pris dans ses bras et m'a donné une lettre. Toute ma classe avait écrit un petit mot gentil. Enzo a même essayé de dessiner une fleur, mais il n'a pas réussi. Chat a dû l'aider. Ça m'a fait sourire.

Mais mon sourire s'est vite effacé quand nous avons dû rejoindre le crématorium. Je n'étais pas prête.

« Sweet Was My Rose » a commencé à résonner. Ton cercueil s'est mis en route. Vers les flammes. Vers l'enfer. Je tremblais. Comme une feuille. Tout se bousculait dans ma tête. Tout se bouscule dans ma tête. Le four s'est ouvert. Papa, j'ai vu les flammes. Je n'aurais pas dû les voir, mais j'étais mal placée. J'ai vu les flammes. Ces flammes qui t'ont englouties. Ces flammes de l'enfer. Je t'ai entendu dans ma tête, Papa. Tu criais, tu hurlais. Tu brûlais. J'ai senti mon brûler avec toi. Mon âme se consumer. On t'a réduit en cendres. Tout ce qu'il reste de toi peut s'envoler en un coup de vent.

En sortant, Arnaud nous a donné des étoiles. Il a acheté une étoile. Tu es dans le ciel. Tu es une étoile, Papa. Je te l'ai déjà dit, mais, tu es mon étoile.

Aujourd'hui, nous avons mis ton urne dans le caveau familial. Pour nous rendre au cimetière, j'ai insisté pour aller avec Maman, et ton urne. Et toi. Ces mots ne sortiront jamais de mon esprit « Tu veux être une dernière fois avec Papa et Maman » ça m'a brisé le cœur, encore un peu plus. C'était la dernière fois que nous allions être réunis.

Je ne saurais te dire ce que j'ai ressenti au cimetière. Je crois que je ne ressentais rien. Je pleurais à chaudes larmes. Ma main tremblait quand j'ai dû jeter la rose dans le tombeau. J'aurais tellement voulu sauter dedans. Pour être avec toi.

En rentrant, je t'ai cherché machinalement. Tu n'étais pas là. Plus aucune trace de toi à la maison.

C'est dur sans toi, Papa. Je ne sais pas si je vais supporter ton absence.


Je t'aime fort. 

Dear DadOù les histoires vivent. Découvrez maintenant