Dure réalité

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Papa,

ça fait deux jours que tu es parti. Pour moi, le temps s'est arrêté. Les aiguilles tournent au ralenti. J'aimerais bien remonter les jours, Papa. Comme ça, je pourrais te serrer fort dans mes bras.

Deux jours qui riment avec enfer. C'est un vrai enfer ici sans toi. Tout perd de sa saveur. Le monde haut en couleurs que je connaissais s'est transformé en un gris fade. Mes gestes n'ont plus aucun sens. Mes mots n'ont plus aucun sens.

Tu sais comment je m'en suis rendu compte ? J'ai voulu t'écrire un discours, aujourd'hui. Je me suis assise dans un coin du couloir glacial. J'ai pris une feuille, un stylo. Je voulais te faire le plus beau discours du monde. Que tu sois fier de moi. Que les gens sachent combien je tenais à toi, combien je t'aime. Que je puisse te dire au revoir à ma façon. Mais, Papa, pour la première fois, je n'ai pas réussi à écrire. Ma main tremblait. Mes yeux scrutaient le vide, cherchant quoi dire. Cherchant l'inspiration. Te cherchant.

Je suis restée de longues minutes sans rien faire. Paralysée.

J'en ai des choses à dire, pourtant. Sur le père exemplaire que tu étais. Sur cette fichue maladie. Sur ta mort injuste. Je voulais le crier à ces gens, Papa. Ces gens venus te dire adieu.

Je crois que je ne suis pas prête à te dire adieu. J'ai toujours détesté ça. Je déteste devoir te dire adieu, Papa.

Je n'ai pas réussi à te l'écrire, ce discours. On m'a dit que ce n'était pas grave. Mais si, si ça l'est. C'est grave. Parce que c'est important pour moi. Très important pour moi. C'est important pour toi. Mais je n'ai pas réussi.

Tu vois, mes mots n'ont tellement plus de sens qu'ils ne veulent même pas s'écrire.

Regarde, cette lettre est un brouillon. Je dis n'importe quoi. Je m'emmêle les pinceaux. J'arrive à t'écrire cette lettre, mais pas un discours. Enfin, tu me verrais Papa. Je suis un déchet. Je pleure en silence, t'écrivant cette lettre sans queue ni tête, en écoutant ton groupe préféré.

Papa, aujourd'hui, je suis restée seule avec toi. Dans cette pièce aux murs chauds bien que si froide. Je n'osais pas bouger de ma chaise. Mais je t'ai vu, Papa. Je t'ai vu respirer. Puis tu as cligné des yeux. Ton bras s'est soulevé. Tu revenais à la vie ! Mais, j'ai fermé les yeux. Et quand je les ai rouverts, tu es redevenu cette statue de marbre. Je me suis approchée de toi. Et je me suis effondrée. M'as-tu senti ? Je te faisais des bisous sur le front, ton front si froid, si glacé. Mes larmes roulaient sur ta peau gelée. Je t'appelais. « Mon petit Papa » mais tu ne me répondais pas. Tu ne me réponds plus, Papa.

J'ai refusé de quitter ta chambre ce soir. Je ne voulais pas te laisser seul. Personne ne me comprend. Moi, je sais, que tu ne veux pas rester seul.

Je veux profiter de chaque minute avec toi. Avant qu'ils ne t'arrachent à moi. Qu'ils t'enferment dans une boîte.

Maman m'a expliqué qu'on allait t'incinérer. Et je lui en veux. Comment peut-elle t'envoyer brûler ? Des cendres. C'est tout ce qu'il restera de toi, Papa.


Je t'aime fort. 

Dear DadOù les histoires vivent. Découvrez maintenant