Chapitre 2 - Héroïne

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Le corps d'Evrik, tel un pantin inanimé, est secoué par la tonicité de mes mouvements que je continue à effectuer sans relâche. Pétrifié et blême, son ami me regarde faire, suspendu à mes gestes comme si j'étais à la fois le Messie et la Faucheuse. Je ne peux m'empêcher de me mettre à sa place. La scène doit être impressionnante, mais je ne me démonte pas. Ce garçon va vivre, je le jure sur ma vie.

Au bout de ma troisième série de trente pressions, je commence à ressentir une résistance lorsque j'appuie sur son torse. Quelque chose se met en branle, le corps réagit, convulse. Sa poitrine se met à se soulever violemment, son visage grimace. Je comprends qu'il est sur le point de régurgiter l'eau qui a inondé ses poumons. Immédiatement, je dégage ses voies respiratoires et je le bascule sur le côté pour ne pas qu'il s'étouffe.

-Vas-y, Evrik, crache. Crache tout ce que tu peux!

Je place une de mes mains sur son dos pour le rassurer, puis, de l'autre, j'appuie légèrement sur son torse pour l'aider à expulser l'eau. Il tousse, tousse et tousse encore. De plus en plus fort. Il se met à gémir de douleur. Ce son qui sort de sa bouche me soulage, même s'il ne s'agit que d'un râle indescriptible.

Il n'est pas mort.

Je le laisse en position latérale de sécurité afin qu'il ne s'étouffe pas et je me surprends à avoir ce réflexe étrange de lui caresser les cheveux. Ils sont doux comme de la soie. Je ne sais absolument pas d'où me vient cette envie subite qui ne ressemble en rien à mes habitudes. Il faut dire que je réfléchis à peine, je ne fais que réagir, bercée par mes instincts qui jusqu'à lors ne s'étaient jamais révélés. Je crois qu'à sa place, j'aurais aimé que quelqu'un me le fasse, que quelqu'un apaise cette terreur de mort, cette indescriptible angoisse qui nous laisse dans l'attente de savoir de quel côté on va basculer.

Je murmure à son oreille.

-Tu es en sécurité maintenant, ça va aller.

Son ami lui prend la main et nous échangeons un bref sourire, mais tout n'est pas encore fini. La situation est susceptible d'évoluer d'un moment à l'autre.

-M...merci, bafouille-t-il.

Sa gratitude me touche.

-Tu sais, je n'ai fait qu'appliquer ce qu'on m'a enseigné...Et je dois avouer que c'est la première fois que j'ai à le faire en situation réelle...

-Et bien, on aurait dit que tu as fait ça toute ta vie, pourtant.

Je me sens un peu gênée et ne peux m'empêcher de changer de sujet.

-Mais, qu'est-ce qu'il s'est passé, au juste ?

Le jeune homme secoue la tête.

-Je, je ne sais pas ce qui lui a pris... Il voulait absolument nager jusqu'au gros rocher là-bas, dit-il en pointant ce dernier du doigt. On lui a dit que ce n'était pas raisonnable, car les vagues étaient bien trop violentes. Le problème, c'est qu'il est buté comme un âne. Il n'écoute jamais rien. On l'a vu s'éloigner, fonçant aussi rapide qu'une balle... Et puis d'un coup, il a disparu dans la mer.

Je connais bien cet imposant rocher qui, tel un immense iceberg, trône au milieu de la baie. La population locale l'appelle le Mont de la Délivrance. Une légende raconte que nager jusqu'à lui entraîne la purification de l'âme. Toucher ce roc est censé laver celle-ci de tous ses pêchés et guérit n'importe laquelle des souffrances qu'un humain peut ressentir. Il s'agit cependant d'un parcours long et périlleux en raison de la puissance des vagues qui viennent percuter les flancs de cet amas magistral. Lorsque le temps se gâte sur la côte, il est évidemment fortement déconseillé de tenter l'aventure, sous peine de se faire aspirer par les courants tempétueux et risquer de se cogner sur les excroissances pointues du mont.

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