Chapitre 1 - Tu vas vivre

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Trente degrés. Je fonds, je me consume, je meurs asphyxiée. Je n'ai jamais été une fille du sud. J'ai la peau aussi blanche qu'un cachet d'aspirine et les yeux clairs. Heureusement que je parle, souris et m'exprime pour prouver aux gens que non, je ne suis pas complètement un cadavre. Et, comme tout semi-mort vivant qui se respecte, je me décompose rapidement passé les vingt-cinq degrés.

Nous sommes en plein mois de juillet et ma parade pour supporter cette chaleur étouffante, c'est d'aller faire un tour sur la côte. Régulièrement, je me rends à Estrella, la plage de mon enfance, qui n'est plus très loin de là où j'ai désormais élu domicile, dans le nord de la France.

Depuis que j'ai quitté l'entreprise où j'ai bossé comme une acharnée pendant près d'un an, j'ai tout mon temps devant moi. Ces vacances à durée indéterminée me permettent de pouvoir profiter de cet endroit et y flâner en pleine semaine, sans qu'une marée humaine ne vienne l'envahir comme un essaim d'abeilles collé à du miel.

Loin d'être agoraphobe, j'apprécie cependant de ne pas me retrouver coincée entre la bedaine poilue de Robert et les gants de toilette grillés façon homard de Martine, entourés de leur tribu de marmots qui braillent. Le calme est une denrée rare qui se savoure !

Garée le long des dunes qui surplombent cette grande plage rocailleuse quasi-sauvage, je me précipite hors de ma voiture afin de faire un repérage rapide. Moins de dix parasites à l'horizon. Bien joué, Aleka.

Savourant le calme ambiant, j'attrape ma serviette et me fraye un chemin entre les dunes, tout en humant à pleins poumons l'air revigorant de la mer. A chaque fois, ça me rappelle pourquoi je déteste tant la vie citadine. Dans le béton, on respire pas. Ou alors, on respire de la merde. Des vapeurs toxiques qui sentent le cancer. C'est sûr, c'est de ça dont je vais crever. 

Au moment où j'enfonce mes pieds dans le sable chaud, je repense à l'année que je viens de passer. Elle était dure. Intense. Violente. Ça ouais, elle ne m'a rien épargné. Après m'être fait jetée par mon futur mari parfait, je me suis noyée dans le travail pour sauver ma peau. Cette année était l'année des premières fois et à bien des niveaux. Premier job, premier appartement seule, premier véritable envol dans la jungle de la vie.

Ces expériences douloureuses ont fait de moi quelqu'un de solide et de confiant...Mais pas assez pour que je tente la baignade. Ouais, Ici, c'est pas les caraïbes. Il faut en avoir un minimum dans le caleçon pour affronter la mer du nord, dans laquelle on ne rentre pas comme papa dans maman. Seuls les habitués et les plus robustes s'y risquent et pour ma part, l'hydrocution n'est pas tellement un plan qui m'enchante.

Je me dirige vers la partie de la plage qui forme une sorte de crique, entourée par les falaises, car là-bas, le vent marin n'y souffle pas trop fort.

Déposant tranquillement ma serviette sur le sol, je prends garde à vérifier que les seuls vacanciers présents soient devenus des tout petits points noirs au loin avant d'ôter mon t-shirt. 

Ce que j'aime par-dessus tout, c'est observer les vagues aller et venir, certaines s'écrasant sur les flancs de la falaise, offrant un spectacle grandiose. Il m'en faut peu pour être heureuse...Le seul souci étant qu'il m'en faut encore moins pour être malheureuse. 

Les gens me trouvent souvent « compliquée» - pour ne pas dire bizarre - tandis que certains se contentent de dire que j'ai « mes humeurs ». Et alors ? Tout le monde a des humeurs, non ? Il s'agit là du gage de notre humanité. C'est les autres, qui sont fous. Fous de se faire la guerre, fous de pas savoir s'aimer entre eux et fous de passer à côté de leur vie pour se conformer à cette société qui les enferme. Je suis juste une hypersensible qui doit vivre avec le poids de ses émotions. Certains jours, j'y arrive et certains autres, l'équilibre est plus périlleux.

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