Chapitre 10 - Envolé

104 15 69
                                    

-Il a fait quoi ?!

Tout en crachant la moitié du contenu de la gorgée de bière qu'elle s'apprêtait à avaler, Hazel repose violemment sa pinte sur la table. Le claquement vif et brut de l'impact me fait sursauter.

Quelques heures plus tôt, nous nous étions donné rendez-vous dans notre temple de la bouffe préféré : un petit restaurant folklorique situé en centre ville et connu pour servir les meilleures moules-frites de tout le comté. Le créneau qu'elle m'avait accordé durant sa pause déjeuner constituait l'occasion d'enfin pouvoir nous revoir et organiser une séance de rattrapage dans le racontage de nos vies respectives.

-Tu as bien entendu, dis-je en essuyant les dégâts à l'aide de ma serviette en papier. Lorsque je me suis réveillée ce matin, il était aux abonnés absents. Il s'est purement et simplement envolé. Il a même récupéré ses affaires mouillées dans le tambour de la machine à laver sans que je n'entende rien. D'ailleurs, je ne pige pas dans quel accoutrement, ou plutôt, dans quelle absence d'accoutrement il s'est trimbalé dehors. Je vais finir par croire qu'il aime ça, se faire la malle. Ou bien alors, c'est un fantôme. Un fantôme nudiste !

Les grands yeux bruns écarquillés et parfaitement maquillés de Hazel restent figés dans une expression ahurie.

-Non, mais j'hallucine, c'est une blague ? Quel genre de trou de balle agit ainsi de nos jours ? Assène-t-elle en écartant les bras si loin qu'elle manque de heurter un serveur qui, passant un plateau rempli de plats en équilibre à la main, frise l'arrêt cardiaque.

Le visage reposant dans la paume de ma main, j'étouffe un soupir las.

-Le genre de trou de balle de 25 ans, blond et lavé à l'eau de mer qui porte le nom d'une bibliothèque Ikea, faut croire...

Le regard impitoyable et amer de Hazel balance des éclairs qui pourraient foudroyer la foudre elle-même.

-Tu vois, tu as encore été trop bonne ! Ce goujat a voulu profiter de tes faveurs et, lorsqu'il a percuté qu'il n'obtiendrait rien, il s'est barré comme un voleur, voilà ! La voilà, la vérité ! Pas un pour relever l'autre dans ce bas monde !

Je me raidis devant son discours assassin. Il est vrai que ce dernier n'est peut-être pas étranger au fait qu'elle s'est fait plaquer par l'énergumène le plus grossier de la terre la semaine dernière, mais je la trouve tout de même dure avec Evrik. Même si la méchanceté lui a toujours été étrangère, Hazel possède un véritable cœur de lion qui éprouve régulièrement le besoin d'extérioriser sa hargne. Je préfère laisser couler.

-C'est vrai qu'il aurait pu au moins prévenir...

Je ne peux pas nier le fait que la psyché d'Evrik m'échappe très largement. Je suis encore incapable de cerner quel garçon il est, surtout après ce qu'il a vécu, ou plutôt, après ce qu'on a vécu. C'est la première fois que je me retrouve confrontée à un individu aussi imprévisible. Un fonctionnement dénué de sens et résolument hermétique. Sans doute avait-il ses raisons pour s'éclipser ainsi...Et j'ose espérer qu'elles n'étaient pas dramatiques.

Qui sait, Hazel n'a peut-être pas tort. Ses nombreuses conquêtes lui confèrent une expérience qui fait souvent autorité sur la jeune femme sérieuse que je suis et qui n'a connu qu'une série de relations longues durée depuis son adolescence.

Il n'est pas impossible que, aussi bas et superficiel que ça puisse paraître, le seul et unique but d'Evrik en insistant pour passer la nuit dans mon appartement était de coucher avec moi. Malgré cette part de moi qui refuse de s'abaisser à cette abrupte considération, c'est une hypothèse qui semble difficile à écarter en totalité. Mais alors, pourquoi m'avoir laissé ce bout de papier, contenant une adresse, que j'ai découvert trônant sur ma table de chevet ce matin ? Pas de mots, pas d'indications. Seulement une rue, un numéro de voie et une ville : Merlend.

SUBMERGENCYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant