Chapitre 3 - Désobéissance

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Après trois quarts d'heure à sillonner l'autoroute, je regagne enfin la contrée où j'avais élu domicile au début de l'année, une petite ville de campagne éloignée du littoral, en plein dans les terres. Un endroit où les supermarchés vivent en harmonie avec les herbes hautes et les bovins. Une tranquille bourgade épargnée par l'agitation des agglomérations présentes à une dizaine aux alentours et que j'avais surnommée ma terre d'exil. Tout ce dont j'avais toujours rêvé...En dehors des raisons amères qui m'y ont conduite. Comme d'habitude, je ne fais pas attention à la grosse flaque dans laquelle je viens de me garer, juste devant chez moi. Toujours la même grosse flaque dont je ne me lasse visiblement jamais de venir me saloper.

Je me souviendrai toujours de ce moment où j'ai emménagé ici. J'avais trouvé une annonce sur internet proposant la location d'un petit studio au sein d'une bâtisse de charme, découpée en une multitude d'appartements colorés. Une villa ancienne et chaleureuse à laquelle je porte désormais tant d'affection.

J'ai l'impression que c'était hier. C'était un soir doucement glacial de Janvier, en plein cœur de l'hiver. Mes yeux piquaient et mes mains étaient rougies par le froid. Je me revois enfoncer la clé dans la serrure de ce minuscule studio, dans lequel j'ai vécu les heures les plus sombres de ma vie, avec des sacs débordants de vêtements dans chaque main.

J'avais tout déposé sur le sol. Tout ce qu'il me restait de ma vie d'avant. A une époque où j'étais aimée et protégée, lovée dans les bras d'un homme que je croyais aimer.

Je m'étais assise sur cet affreux canapé clic-clac si vieux et rudimentaire que sa structure métallique s'enfonçait dans mes fesses. Je n'avais prévu aucune nourriture.

J'avais un frigo, des plaques de cuisson ainsi qu'un four micro-ondes. Mais rien à manger. J'étais perdue. Je n'arrivais pas à croire que j'étais seule, abandonnée de tous, le cœur broyé, dans cet endroit où je ne connaissais personne.

J'avais peur et je souffrais d'un mal si intense que les mots me manquaient pour le décrire. Je pensais vivre un véritable cauchemar et je m'attendais à me réveiller, d'une minute à l'autre. Je maudissais ma vie, je maudissais cette ville, cet appartement et cette villa. Cette villa qui, aujourd'hui, est tout ce qu'il me reste et sans elle, je n'aurais jamais pu me reconstruire.

En une heure de route, on a bien le temps de cogiter. A propos de tout et de rien. Surtout de cette événement si fou qu'il vient de se produire dans ma vie.

J'ai secouru quelqu'un.

Cette phrase tourne en boucle dans ma tête.

La vision des yeux troublés d'Evrik. Son corps tremblant. Sa main serrant la mienne. Ses gémissements douloureux. Ses paroles incohérentes. Ces images me hantent et me harcèlent. Pour quelle raison a-t-il voulu atteindre le Mont de la Délivrance malgré l'hostilité de cette mer impétueuse ? A quel point souffre-t-il pour trouver la force de braver tous les obstacles qui jalonnent ce parcours suicidaire ?

Il faut que je trouve un moyen de penser à autre chose...

Lorsque j'entre dans mon appartement, je jette négligemment mon sac à main sur le sol puis m'affale sur le canapé-lit qui, dieu merci, a été changé par mes adorables propriétaires. On peut désormais s'y allonger sans se broyer les vertèbres. Il est même plutôt confortable, bien que vide. Toujours aussi vide. Désespérément vide.

Je soulève l'écran de mon laptop qui trône sur la table et celui-ci affiche la page d'accueil de Youtube. Je suis accro à ce site de partage de vidéos depuis des années. Je pars à la recherche d'une vidéo, au hasard. En jetant un œil du côté des suggestions qui me sont faites : catastrophe. Ma page se trouve envahie de reportages à propos des délits routiers, des médecins du SAMU et le meilleur pour la fin : des fameuses « noyades de l'été », documentaire qui passe quasiment chaque année à la même date sur une de nos chaînes de télé nationales. Génial. Moi qui voulait me changer les idées, c'est plutôt réussi.

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