Chapitre 5 - Palpitations

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Vingt-deux heures. Dans un geste las, je rentre la clé dans la serrure de mon studio, habité par la nitescence bleutée du crépuscule, et m'engouffre à l'intérieur, épuisée. Sur le pas de la porte, je me débarrasse de ma robe, que j'envoie valser dans les airs en visant le dossier de ma chaise de bureau. Je n'ai pas le courage d'aller jusqu'à la salle de bain. M'approchant de mon clic clac que je m'empresse de déplier, j'actionne le ventilateur trônant sur la table de chevet et me laisse tomber sur le matelas, en position étoile de mer, bras et jambes écartés. Les yeux rivés au plafond, je fixe les stries de lumière, induites par le reflet de la grande et unique fenêtre de la pièce, qui viennent s'y refléter.

J'ai ignoré le SMS de Lawrence. Après trois ans sans contact, il lui prendrait le besoin soudain de s'entretenir avec moi? Et pour quoi quelle raison ? Dire qu'il regrette ?

Je l'ai aimé, j'ai souffert, puis je l'ai quitté avec l'aide de Hazel, sans qui j'aurais certainement fini au fond du trou, vampirisée par son intelligence destructrice. Fin de l'histoire. Je n'ai pas la moindre envie d'entendre ses justifications.

Il prétend savoir où je suis, mais je le soupçonne de tenter un coup de bluff, bassesse dans laquelle il excelle et n'a de cesse de se perfectionner. Ce qu'il cherche à obtenir est évident : une réaction. Une simple réponse de ma part et il gagne la partie. Je ne lui laisserai pas ce plaisir.

Ce soir, toutes mes pensées sont tournées ailleurs, bloquées à l'intérieur d'un puits sans fond qui a pris l'apparence d'un jeune homme blond au visage lisse, fin et élancé, affublé d'un regard azur aussi intense que complexe, aussi hermétique que transcendantal. Tout ce qui s'est échappé de sa bouche cogne dans ma tête à la manière d'un marteau piqueur. Chaque coup qu'il donne me perfore.

« C'est qui, elle ? »

Le médecin de la plage avait donc vu juste : Il ne s'est souvenu de rien.

Je revois les images de son regard pétrifié planté dans le mien, de sa main si solidement emprisonnée dans la mienne et de ses paroles énigmatiques. Dans ces moments-là, il semblait pourtant conscient...

« Pourquoi elle est là? »

Cette défiance, aussi injustifiée que disproportionnée, ne parvient toujours pas à trouver d'écho logique dans la mécanique brouillée de ma raison. On aurait dit qu'il m'en voulait, alors que moi, je pensais avoir accompli ma mission. Ne voulait-il pas survivre ? Pourquoi ce rejet ? Ça n'a aucun sens.

« Il est...Perturbé »

Une douleur, anormale et soudaine, explose dans ma poitrine. Mon cœur se met à taper tellement fort en elle que j'ai l'impression de recevoir une pluie de coups de poing. Anormal. Oui, c'est anormal. Je ne suis pas censée entendre la pompe qui me maintient en vie fonctionner. On sait qu'elle est là, mais on ne doit pas la sentir. Pourtant, je la sens. Je sens chaque pulsation, comme les tics tacs d'une horloge qui me ramène à la réalité, celle qu'on a l'habitude d'ignorer, celle du temps qu'il nous reste à vivre. Je ne suis pas immortelle et cette pompe peut s'arrêter. A tout moment, elle le peut. Je suis tétanisée.

« C'est à cause d'elle que je suis en vie ? »

Je crois que je commence à comprendre...Avec effroi.

Les battements s'amplifient. Mon souffle se fait plus court. Je panique. J'ai l'impression que je vais étouffer. La main sur le thorax, je me concentre pour respirer plus lentement. 

« Perturbé. »

Cette noyade... n'était pas un accident. 

Je reste allongée en fermant les yeux, priant pour que les palpitations s'arrêtent. J'inspire et expire profondément, gonflant et dégonflant mes poumons pendant plusieurs minutes jusqu'à ce que d'un coup, je n'entende plus rien, je ne sente plus rien. Ma tête tourne légèrement, et je tombe dans le sommeil.

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