Chapitre 1

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J'ouvre les yeux et m'applique à suivre le chant des oiseaux à travers ce qui me semble au premier abord, une forêt plutôt luxuriante. Je découvre, émerveillée toutes ces teintes de vert dont j'ignorais encore l'existence avant de poser mes yeux dessus. Tournant sur moi même, je repère les fleurs qui peuplent ce royaume végétal. Un capharnaüm de couleurs allant du pastel au chatoyant, de boutons bourgeonnants aux fleurs épanouies, cette profusion m'éblouit de pureté. Mes mouvements ont attiré mon attention sur mes jambes, recouvertes d'une incroyable robe en dentelle crème sous un nombre incalculable de jupons. Les yeux écarquillés, j'enregistre avec avidité les détails de cet accoutrement tout droit sorti d'un roman historique de je ne sais quelle époque. Mes doigts caressent les tissus et leur finesse m'émeut, ne serait-ce pas la robe de la princesse dont je rêvais étant petite ? Elle y ressemble étrangement... Du coin de l'oeil, je remarque un fin objet blanc appuyé contre un arbre. Je fais les quelques pas qui m'en séparent et réprime un petit cri de plaisir sous la chatouille des brins d'herbe et la douceur de la mousse sous mes pieds nus. Une ombrelle ! Légère et pratiquement transparente, elle s'accorde parfaitement avec le reste de ma tenue.

Arrivant finalement à me détourner de ce costume féerique, j'entame une promenade silencieuse en guidant mes pas avec une précision presque chirurgicale pour ne rien écraser par ma maladresse. Je ressens le besoin mystique de ne rien déranger de cette nature éblouissante de pureté. Je me retiens donc de cueillir quelques unes de ces extraordinaires fleurs pour m'en faire un bouquet que je verrais bien trôner sur la table de mon salon. Leurs odeurs entêtantes combinées aux bruits étouffés de la nature environnante m'enferment dans un cocon. Je me sens seule au monde, tranquille et totalement épanouie pour la première fois depuis... longtemps, trop longtemps pour que je m'en souvienne.

A la réflexion, je me demande comment un tel endroit peut rester désert par cette journée qui m'avait semblé caniculaire. Je touche mes tempes, pensant sentir les effets indésirables de cette moiteur qui s'était emparée de moi un peu plus tôt et c'est avec stupeur que mes doigts rencontrent une barrette retenant mes cheveux loin de mes yeux où ils ont l'habitude de se loger. Cette découverte me rend fébrile. Jamais au grand jamais je n'oserais apparaître en public ainsi accoutrée ! Les froufrous et autres trucs féminins ne font pas vraiment partie de mon dressing et encore moins les accessoires telles qu'une barette qui relève ma crinière en de délicates boucles. Sans réfléchir, j'ôte l'étrange bijou et ma masse brune retrouve sa place le long de mes joues, presque devant mes yeux, comme un rideau sauvegardant mon intimité. Je respire mieux tout d'un coup.

Sans m'en rendre compte, mes muscles s'étaient tendus, réveillant mon mal de dos persistant du marathon que j'ai parcouru depuis ce matin. Prenant une longue inspiration, l'air frais s'engouffre dans mes poumons et m'apaise.

Au loin, il me semble entendre un bruit d'eau et je me mets en quête de cette source, faisant toujours attention à mon cheminement.

C'est au détour d'un arbre que je sens un regard me transpercer. Je lève les yeux de mes orteils verdis par ma déambulation et vois un individu, planté sur ce magnifique kiosque en bois au bord d'un lac à la surface huileuse. Je ne sais comment réagir face à cet inconnu qui interrompt ma douce solitude.

Je ne distingue pas bien ses traits, mais même à cette distance, son corps paraît impressionnant. Légèrement vouté pour s'appuyer sur la barrière en bois, il m'observe sans détours. Ses yeux inquisiteurs me rendent nerveuse, à tel point que je ne sais si je dois m'en approcher ou prendre la fuite à toutes jambes.

C'est d'une voix claire qu'il m'interpella : "N'ayez pas peur, je ne vais point vous dévorer tel le loup affamé que j'ai croisé non loin d'ici il y a de cela quelques jours."

Me faire héler si abruptement aurait dû me choquer, mais ses paroles ont éveillées en moi un sentiment d'insécurité qui met en marche mes jambes sans consulter ma matière grise. Jetant de frénétiques coups d'œils autour de moi, j'essaie d'apercevoir l'animal tout en priant pour que ça ne soit pas le cas. Et avant que je n'aie le temps de réaliser le sens de ses mots, je me retrouve au bas des marches du bélevédère.

ÉpiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant