Chapitre 2

45 2 2
                                    

Je jette un œil à mon téléphone et soupire. Vu mon retard, je saute dans un taxi pour limiter les dégâts qu'une éventuelle fuite de mon rencard aurait sur ma santé mentale après le savon que ma mère m'aura passé. J'ai beau avoir une vie sociale normale, pour elle je ne rencontre pas assez de jeunes hommes susceptibles "d'entrer dans mon cœur et ma vie". Je frissonne de dégoût en repensant au dernier en date et me demande encore comment je supporte la sélection rigoureuse de ma génitrice. Sophie pense que je devrais me rebeller quitte à "faire voler les jupons maternels avant de me retrouver cloîtrée dessous pour l'éternité". Je paie ma course et me retrouve devant le restaurant de poissons où m'attend David, 30 ans, architecte dans le cabinet familial de son état et parti honorable pour mériter ma compagnie. Je le repère immédiatement grâce à la "fiche des bases" avec photo que je reçois immanquablement 24h avant avec l'adresse du dîner.

- Bonsoir, David ? entamais-je en me plantant devant ce grand costaud blond qui me sourit comme si j'étais le messie. Ce que je ne suis indiscutablement pas.

- Oui c'est moi, bonsoir Hedwige, me répond-t-il avec un sourire béat. Vous êtes encore plus ravissante que votre mère. Heu... Encore plus que sur les photos... -bafouille-t-il devant mon air interdit.

- C'est... je ne sais pas comment le prendre en fait, mais on va dire que c'est un compliment, ok ?

Tout rouge il me tient la porte : - Je suis vraiment désolé, entrez, on va aller s'installer. Il n'ose pas mettre sa main dans mon dos pour me guider et je préfère, il doit avoir les mains moites de stress. Cette soirée promet d'être intéressante, il n'a pas l'air imbus de lui-même comparé à d'autres spécimens rencontrés.

Histoire de lui simplifier la vie, je lui propose de partager un plateau de fruits de mer avec un bouteille de vin blanc, ce qu'il s'empresse d'accepter. J'avoue que sa mine terrifiée et complètement paniquée m'amuse, même si ce n'est pas très sympa de ma part.

- Ne vous mettez pas tant de pression, on ne va pas forcément passer du dîner au restaurant au repas des fiançailles dès demain avec nos familles réunies.

Il s'étrangle presque dans son verre.

- C'est sûr ! Je suis navré, je n'ai pas l'habitude.

- Ne m'en dites pas plus, c'est votre mère qui a pris contact avec la mienne et nous voilà embarqués dans leurs fabuleux projets de famille nombreuse ?

Un petit sourire gêné accueille ma tirade désabusée.

- C'est tout à fait ça. Comme j'ai dépassé la trentaine et que je n'ai jamais présenté quiconque, on m'a imposé de vous inviter à dîner. Bien que ça ne soit pas à proprement parler une corvée de passer la soirée avec vous bien entendu ! ajoute-t-il précipitamment.

- Je dois dire que pour une fois je n'ai pas l'impression que cette soirée sera totalement une corvée. Vous semblez gentil et intelligent, ce qui ne me change pas mal !

- Parce que vous avez l'habitude de ce genre de ... ?

- On pourrait se tutoyer non ? On est dans le même bateau après tout, lui lançais-je avec un clin d'œil en direction du plateau dressé devant nous.

Il rit. - Ma foi, cela ne me dérange pas.

Je le vois prendre peu à peu de l'assurance et la conversation devient plus détendue.

-Alors... lorsque tu dis que cela te change, cela veut dire que tu subis ce genre de déconvenue régulièrement ?

J'avale une huitre et m'essuie les lèvres avec ma serviette avant de lui répondre.

- A mon plus grand malheur, j'ai le droit à un dîner mensuel avec un inconnu sensé être l'élu de mon cœur ou du moins celui de ma mère oui. A ces mots, je vois David blêmir.

- Mon dieu ! J'espère que ma mère ne va prendre exemple sur la tienne !

Sa mine horrifiée me fait éclater de rire et nous continuons à déguster les crevettes et autres bulots tout en partageant nos expériences désastreuses sur l'amour. Finalement, je n'ai peut-être pas trouvé de prince charmant ce soir mais, j'ai la nette impression d'avoir eu un coup de foudre amical.

- Les parents sont incroyables. Ils veulent que l'on travaille dur à l'école pour faire les études qui nous permettront de continuer ce pourquoi ils ont travaillé toute leur vie. Et dès qu'on commence à y contribuer avec plus ou moins de talent et qu'on peut enfin se dire "ils ont eu ce qu'ils voulaient" maintenant foutez-moi la paix...

- Ils se rendent compte que vu le temps que l'on passe à travailler on n'aura personne à qui léguer tout ça -complétais-je.

- Voilà. J'ai juste fait l'erreur de relâcher un peu la pression et me voilà embrigadé de force dans un nouveau tourbillon frénétique.

- Trinquons aux mères castratrices ! dis-je en entrechoquant mon verre au sien.

- Du coup, avec tous tes prétendants, tu as fini par déterminer ton type d'homme, au moins ?!

- Je n'en suis même pas sûre ! m'esclaffais-je. Je ne veux juste pas d'un gros prétentieux qui cherche à m'en mettre plein la vue pour tout et surtout rien. Je gagne confortablement ma vie donc je ne recherche pas quelqu'un de "riche", les sentiments n'ont rien à voir avec la caste, tu ne crois-pas ? Une petite lueur passe dans le regard de David et il repose la cuillère avec laquelle il vient de touiller son café avant de me répondre.

- Je vais être franc avec toi Hedwige. Passant nerveusement sa langue sur ses lèvres, il enchaîne sans arriver à me regarder dans les yeux. Je crois qu'on ne choisit pas qui l'on est ; même si on a été "formaté" par nos parents, notre libre arbitre a toujours son mot à dire. Ses yeux trouvent enfin les miens. Je ne sais même pas si je suis attiré par les femmes ou... les hommes, conclut-il.

Je le regarde surprise par son aveu.

- Dans ce cas, il faudrait peut-être que tu t'essaies aux deux genres pour pouvoir trancher ?

- Quand j'en aurais l'occasion et le courage, pourquoi pas. Il fait signe au serveur pour régler la note. Continuant à débattre des différentes stratégies développées par nos mères désespérées, nous nous retrouvons dans un bar devant deux bières. Quelques heures plus tard, je lui tends ma carte avec mon numéro et lui demande : On garde contact ? J'ai vraiment apprécié ta compagnie et j'aimerais bien qu'on se revoit.

- En tout bien tout honneur, et surtout amitié je serais ravi de te revoir Hedwige. Je te raccompagne ? me propose-t-il en montrant le taxi qui vient de se garer devant nous

- Non merci, je vais marcher un peu je pense. J'ai besoin de prendre l'air. Je l'embrasse sur la joue et le regarde monter dans sa voiture et entreprends de rentrer chez moi.                                                               

ÉpiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant