13- RÉFLEXION NOCTURNE

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- Calme toi, Elsa. Tu es trop tendue.

- Je ne suis pas... tendue.

- A d'autres !

Je faisais les cent pas autour de la table au centre de la cuisine. Julien était assis sur une des quatre chaises, tourné vers la fenêtre au-dessus du comptoir, ce qui lui permettait de me regarder à chaque fois que j'y passais lors de mes rondes interminables. Chaque impact de mes talons sur le sol résonnait de plus belle dans mon crâne. Tantôt je m'arrêtai pour laisser mes doigts parcourir nerveusement sur les rebords du lavabo de cuisine, tantôt je jetai un coup d'œil en direction de porte d'entrée à travers le mur qui donnait sur couloir.

Tendue, non. J'étais ridiculement morte de trac.

- Tu vas avoir mal à la tête à force de tourner comme une folle, me prévient-il.

- J'ai déjà la migraine, ne t'inquiète pas pour moi.

J'accélérai le pas en prenant ma tête entre les mains. Il ne fallait pas que je réfléchisse, c'était la clef de tous mes problèmes. Plus je cogitais et plus j'avais des chances de ne pas avoir les idées claires quand ma mère rentrerait de son boulot. C'était justement la chose à éviter.

Mais pourquoi étais-je aussi nerveuse ?! Je n'avais commis aucun crime après tout. Le souci, c'est que je n'avais absolument aucune idée de la réaction de ma génitrice quand elle verrait Julien, ou quand je devrais lui expliquer que je sortais avec un garçon. "Enfin !", ce sont les futures paroles que je lui porte sans aucun doute. Mais comment deviner ? Certains ados étaient conscients que leurs parents allaient les bassiner de questions improbables et gênantes, ils les prévoyaient à l'avance. D'autre savaient depuis longtemps que leur famille se moquerait de qui ils fréquentaient. Ce qui me dérangeait, c'était de ne pas pouvoir situer ma mère dans tout cela. Elle avait toujours été occupée pour aborder ce genre de choses avec moi, aussi loin que je me souvienne. Ce n'était pas pour autant qu'elle se fichait de moi, ou du moins je l'espère. Elle avait essayé, à de nombreuses reprises. Ses vacances étaient rares et même là, son esprit était occupé à penser au travail ou à une chose plus importante et dérangeante. Nos discussions n'aboutissaient jamais correctement comme elle l'avait prévu. Je savais que mon père abrégerait vite le sujet et se contenterait d'être heureux que je ne sois plus seule en errant sans but. Ils me prenaient réellement pour une fille associable renfermée au bout du compte, ce n'était pas croyable. Si j'avais eu un parent au courant de cette électricité, j'aurais pu demander de l'aide plus tôt. Mais cette inconscience m'avait encore plus tirée en arrière dans ma vie.

- Bon sang, Elsa ! Tu vas me donner le tournis !

Je sentis des mains dans mon dos me soulever par la taille jusqu'à aller me reposer assise sur la table en bois. Mes pieds poursuivirent pourtant leur course effrénée en pataugeant dans le vide. Julien s'approcha brusquement de moi jusqu'à ce que son visage soit au plus près du mien. Il saisit tendrement mon visage entre ses deux mains.

- Arête de te tracasser, me susurra-t-il.

Je restai figée, mes jambes avaient cessé de se balancer.

- Et puis je te rappelle que je ressens simultanément la même chose que toi, ajouta-t-il dans un faible rire.

Je souris et me remis à respirer à plein poumons alors que mes muscles se détendaient du stress que je leur avais infligé. La seule chose que je ne pouvais m'empêcher de regarder étaient ses magnifiques yeux bleus incandescents tournés vers moi.

- Je suis sincèrement désolée de t'infliger ma stupidité, dis-je en expirant.

Il sourit à m'en faire oublier mes problèmes.

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