Chapitre 1 : Après le crépuscule

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Un feu léger et vite étouffé : si vous le laissez faire, des rivières ne sauraient l'éteindre.
W. Shakespeare


Qaqortoq, Groenland
2012

Tout était extrêmement silencieux. Je m'en voulais presque de faire résonner le bruit de mes pas sur la neige, même s'il était infime. La nuit était tombée depuis déjà plusieurs heures. Je traçais un chemin zigzagant dans la forêt de sapins enneigée à l'écart de la ville, petit bémol ; je n'avais pas vraiment le droit d'être ici, et pour être honnête, ça me trottait dans la tête. Seulement, je ne pouvais pas laisser tomber ce rituel que j'avais récemment mis en place, car il s'était avéré assez efficace. Efficace dans la mesure où je me sentais, mieux ?

Ce n'était même pas du gâchis pour mon sommeil, j'avais en ce moment l'impression que le diable lui-même venait jouer le marchand de sable. C'était insupportable ces cauchemars.
Je levais les yeux sur mademoiselle, qui brillait, et qui par ailleurs était sûrement ma meilleure amie. Je m'arrêtais de marcher, observant le lac gelé face à moi, illuminé par Elle. Rien ne pouvait échapper, à sa lumière.

Le lac s'arrondissait dans les grands angles, et s'arrêtait juste au bout de mon horizon. Comme le soleil le faisait aussi, copieur, la lune était centrée dans mon champ de vision et se reflétait sur la glace. La forêt toute entière s'était regroupée autour de ce lac, et j'avais alors l'impression de ne pas être seule à être venu observer. D'en haut c'était une mer de lait, emprunt de silence et de calme.

Je m'assis en face du lac, respirant le plus doucement possible l'air froid, replaçant inconsciemment ma mèche de cheveux derrière mon oreille, qui comme ma mère me l'avait toujours dit, me faisait posséder une caractéristique bien unique. Je pensais à cette époque que c'était seulement un tourbillon de cheveux qui me gênait sans cesse. Je n'avais pas forcément tort.

Je me rendais compte de la fraicheur de l'air, et tentais de rentrer mon cou dans mon écharpe . Il est vrai que cette période de l'année est particulièrement froide.

Au fond, j'avais besoin de ces moments de solitude, même s'il semblait m'y enfoncer encore plus. La fac ce n'était pas toujours évident. Non pas que j'ai pu être associable, même si j'ai pu en donner pour partie l'impression, mais disons que le respect des croyances n'est pas toujours la tasse de thé de tout le monde. En effet, j'étais convaincue de l'existence de tout ce qui est paranormal. Les fantômes, les apparitions, la magie, les anges même.

J'attrapais un bâton mal caché sous la neige, et me penchais légèrement pour tracer quelques formes aléatoires sur la glace du lac, toujours perdue dans mes pensées. Ça ce n'était pas une nouveauté, bien au contraire, c'était l'activité que je pratiquais sûrement le plus quotidiennement.

Je voulais trouver une chose, qui me prouverait ce que je crois depuis tant d'années, sans preuve. Un jour, mon grand-père m'a dit, en me contant une vieille histoire sur le sujet : C'est la lumière de la lune, qui mène les miséreux au royaume de lumière.
Cette phrase m'avait hantée jusqu'aujourd'hui, c'est sûrement pour ça que j'aimais tant la regarder, parce que j'étais miséreuse. Quel pied.

Je sortis soudain de mes pensées, et vit que j'avais arrêté de dessiner. Alors je lâchais mon bâton sur la glace, et me redressais.

Je regardais ma montre. Il était déjà deux heures et demie du matin, je devais rentrer, ou demain je savais que j'allais finir ma nuit en classe.
Je me levais alors de ma position, essuyant le potentiel restant de neige encore accroché à mon pantalon, pour faire demi-tour et me diriger vers ma maison.

Je marchais tremblante pour retourner chez moi à environ trois cents mètres, sans porter attention aux alentours, mais j'avais la sensation que l'on m'observait. Fameuse impression, souvent fausse dans mon cas, mais impression ou pas, cela me provoquera toujours une sensation peu agréable.
J'accélérais donc le pas, avant de trébucher sur une racine, mes mains atterrissant directement sur la neige.

- Saloperie.

J'entendis soudainement des pas derrière moi, des pas frôlant la neige en s'écrasant sur le sol, d'un faible écho, presque inaudible. Je ne bougeais plus, pétrifiée, qui pouvait être ici à une heure pareille ?
Je n'avais jamais croisé qui que ce soit ici.

Je me relevais doucement, les mains tremblantes et rougies par la fraicheur extrême qui s'y était déposée. Je n'entendais plus aucun pas.
Je me retournais, des sueurs froides perlant sur ma nuque, pour voir qui était là. Je m'attendais au pire. Comme n'importe qui.

Mais lorsque je m'étais suffisamment retournée, il n'y avait qu'un homme ; un homme calme, couvert d'une cape noire, et d'une capuche d'où quelques uns de ses cheveux long sortaient sur le devant de ses épaules. Sa peau s'identifiait à la neige, et rougissait sur ses pommettes, par le froid. Ses joues étaient peu creusées, mais assez pour lui donner un air plus... ésotérique. C'est le mot. Il tenait un grand bâton à la main, le dépassant presque.

- Que faites-vous ici à cette heure jeune fille ? me demanda-t-il curieusement, et suspicieux.

- Je viens seulement me balader, et vous, pourquoi êtes-vous là ? répondis-je sans réfléchir, à cause de l'anxiété instantanée. J'avais un peu peur, cet homme était étrange.

- J'habite non loin de là, vous devriez rentrer chez vous, ce n'est pas un endroit sûr pour une jeune femme.

- Détrompez-vous, et puis, j'allais y aller, au revoir, disais-je avant de partir rapidement. Sans attendre de réponse de sa part.

J'avais sûrement eu la peur de ma vie. On aurait dit un sorcier le type avec son bâton.
Bon, il n'avait pas vraiment la tête d'un sorcier, un sorcier c'est vieux et ridé, non ? De plus, il n'avait pas l'air bien vieux, je lui aurais donné dans la trentaine, malgré son apparence quelque peu intemporelle.
Ça avait quand même attisé ma curiosité, je n'étais pas au courant du tout qu'un homme habitait les lieux, et pourtant j'habitais ici depuis beaucoup de temps.

Quand j'aperçus enfin ma maison non loin, je me précipitais vers celle-ci, pour grimper jusqu'à ma fenêtre, manquant de déraper un peu trop, mais me rattrapant au rebord de celle-ci. J'entrais finalement, ôtais mon manteau et mon écharpe, avant de me glisser sous mes couvertures.
Malgré cela, je savais qu'il allait être difficile pour moi de trouver le sommeil. Cet homme m'avait traumatisée pour la nuit, honnêtement.
Heureusement qu'il n'avait pas l'air méchant, heureusement, ou je n'aurais plus ôsé me balader dans la forêt enneigée.
J'entendis du bruit dans le salon, alors je fis semblant de dormir, au cas où ma mère viendrait ouvrir la porte.
Qu'importe l'âge que j'avais, elle était toujours aussi autoritaire, et ça m'énervait.
À vingt ans j'étais tout de même capable de prendre des décisions, qu'elles soient bonnes ou pas, c'était mon problème.

Bien évidemment, elle ouvrit la porte de la chambre, et je ne bougeais plus d'un poil, les yeux clos, cachée derrière les bras de Morphée. Je pouvais imaginer son visage maigre somnolant, et ses cheveux châtain comme les miens, ébouriffés.
J'entendis ensuite la porte se refermer, avant d'ouvrir les yeux.
C'était vraiment pathétique ce genre d'attitude, vraiment exaspérant.

Je serai libre, un jour... J'en étais convaincue.

Gardien de lune - Le disque d'or Où les histoires vivent. Découvrez maintenant