Chapitre 42 : Les alliances forment des membres

10 2 3
                                    

La sagesse est la force des faibles.
Joseph Joubert

Je n'arrêtais pas de hurler, encore et encore, et j'aurais aimé faire autrement, mais impossible. Agata s'affairait à désinfecter mon genou ensanglanté. Je sentais le sel me brûler, et la douleur était telle...

- Agata je vous en prie, faite une pause !

- Plus la plaie attend plus le risque d'infection est grand.

- Je sais bien, mais c'est insupportable, serrais-je les dents.

- Encore quelques instants, ça ne sera pas long.

Modal entra inquiet à l'intérieur du tipi. Il n'osait rien dire, restant très sagement assis dans son coin pendant un long moment, l'expression de son visage se crispant à chacun de mes cris. Je hurlais tellement fort, que je craignais à chaque fois de me briser les cordes vocales.

- Ça y est Elisa, c'est fini, me disait Agata en posant une main sur mon front.

Je fermais les yeux, en reprenant longuement ma respiration, gémissant presque de soulagement. Je n'étais même pas agacée par mon ruban de cheveux qui collait à mon front. J'étais en sueur, et j'avais la sensation que la pièce était un brasier.

- Est-ce que ça va mieux ? me demandait Modal après un certain temps d'hésitation, alors qu'Agata était sortie du tipi.

- Ça va mieux, soupirais-je sans ouvrir les yeux.

- Tu comptes t'entrainer demain ?

- Évidemment. J'ai toujours besoin de ton aide, riais-je.

Il semblait surpris que je ne lui crache pas toute l'horreur du monde au visage. Je m'assagissais de jour en jour, et je sais qu'il s'en rendait compte.

- Vu mon fiasco d'aujourd'hui, j'imagine que j'ai encore du chemin à faire avant de ne serait-ce éviter trois coups pendant une minute.

- Ça pourrait aller très vite si tu étais totalement attentive.

- Pourquoi je ne le suis pas ?

- Tu sais bien que non, Elisa.

Il avait raison, mais mon esprit était ailleurs, et j'avais du mal à m'en rendre compte. La sensation d'inconnue, ce pressentiment qui me travaillait depuis un moment me rappelait sans cesse qu'il y avait bien des choses que j'ignorais dans ce monde, alors que je venais seulement d'en faire partie il y a peu de temps. Quand j'étais à Qaqortoq, il était beaucoup plus facile pour moi d'assouvir ma soif de curiosité, beaucoup plus facile qu'ici, où ma curiosité était oppressée, et où je devais faire preuve de sagesse plus que de spontanéité.

- Qu'est-ce que je peux faire pour arriver à oublier tout le reste ?

- La vérité ? Tu dois laisser Morgan où tu l'as laissé, même pour un court moment. Tout ce qui te travaille, ce sont les questions auquel personne n'a répondu, et à moins de faire fausse route, c'est de lui qu'il s'agit dans tes questions.

C'est à ce moment de ma vie que je me suis rendue compte que j'étais bien trop facile à lire, bien trop explicite dans la divulgation de mes sentiments et de mes tourments, et je m'en voulais. Si je n'étais pas si naïve, je ne me ferais certainement pas manipuler de gauche à droite, même en plein dans les bras de Morgan.

- Tu as raison, mais c'est compliqué pour moi de laisser mes questions de côté.

- Dis-toi que, peut-être, tu auras tes réponses en temps et en heure.

- Tu penses que je les aurais ? demandais-je sérieusement.

- J'en suis certain, et c'est évident, quand tu te rendras au conseil des lumières, les Inotés te donneront des réponses, je n'ai aucun doute là-dessus.

Je tentais de sérieusement assimiler ses conseils, espérant que cela puisse me rassurer au moins pendant quelque temps.

- Il faudrait peut-être que tu t'endormes maintenant, tu as besoin de repos et ta blessure aussi.

- D'accord, cédais-je quelque peu sceptique.

Je le vis alors se lever de sa position, et se diriger rapidement vers la sortie du tipi.

- Demain quelle heure ?

Il s'était retourné face à moi, un sourire visiblement attendri par mon envie d'apprendre à ses côtés. Mais je gardais tout de même dans le fond de mon esprit, l'idée que c'était le seul moyen de m'extirper de cet endroit.

- Disons dix heures, jusqu'au déjeuner.

- À demain alors.

- À demain.

Gardien de lune - Le disque d'or Où les histoires vivent. Découvrez maintenant