Chapitre 4 : Le temps de la nuit

6 0 0
                                    

Ne demandez jamais quelle est l'origine d'un homme ; interrogez plutôt sa vie et vous saurez ce qu'il est.
Abd El-Kader

Je sentais une très douce chaleur s'attaquer au froid de ma peau, une flamme impudique m'avait prise pour combustible. Elle était glacée, mais cette chaleur était un océan de bienfaisance, dont nul ne pouvait mieux rêver.
Je ne voulais pas ouvrir les yeux, j'étais trop bien. Je ne le fis d'ailleurs pas, j'écoutais un peu ce qui se trouvait autour de moi, ne me demandant même pas où je pouvais bien me trouver.
J'entendais seulement des vagues de souffles et des grésillements. Était-ce un feu ? Chez moi il n'y a pourtant pas de cheminée.

J'ouvris d'un quart mes yeux, et observais les alentours. Il y avait bien un feu, en face de moi, se mouvant sans limite, et qui étonnement me semblait bien chaste. Je vis sans m'y attendre une longue tige en métal dont le bout se voyait couvert de charbon, décaler le bois dans la cheminée.
Je détournais le regard, remontant progressivement le long de la tige de métal pour voir qui était son manipulateur, arrivant sur une main pâle, puis sur un tissu blanc se courbant sur lui-même, et en remontant un peu plus, c'était finalement un visage familier de peu de chose qui m'interpella.
Je reconnus tout de suite l'homme étrange, que j'avais croisé hier dans la forêt, mais il était seulement vêtu d'un pantalon noir, et d'une chemise blanche, à jabots en dentelles.
Il était assis sur un fauteuil rouge, aux pieds et aux courbures noires, et regardait le feu. J'essayais de parler mais ressentis alors directement la rigidité presque cadavérique de mes cordes vocales, où seul un toussotement pût retentir.
Il tourna directement son regard vers moi, avant de sourire comme soulagé.

- Vous êtes enfin réveillée, comment vous sentez vous ?

Sa voix résonna comme le cri d'une foule dans mes oreilles. Je déglutis du mieux que je pus, et ouvris un peu plus mes yeux pour éviter qu'ils ne se referment. J'essayais de me redresser sur mon siège, mais mes bras tremblèrent de leur faiblesse et mes muscles me semblèrent brumeux.

- Vous devriez vous reposer, vous avez fait une belle hypothermie, me disait-il, penchant sa tête sur le côté.

- Qui êtes-vous ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? lui demandais-je en posant une main sur mon front.

- Vous êtes tombé dans le lac gelé.

Des images de la glace se brisant sous mes pieds me revinrent en tête, de cette masse sombre venue se rapprocher de moi pendant ma descente à la mort. Je compris vite que cette masse devait être lui. Alors il m'avait sauvé la vie.

- Merci, de m'avoir repêchée, lui disais-je un peu honteuse.

- Je vous en prie, je n'allais pas vous laisser mourir, souriait-il.

Je regardais ma montre, qui ne fonctionnait plus, immobile comme si le temps était ailleurs, me laissant encore plus déboussolée. Combien de temps étais-je restée ici ? Sûrement plusieurs heures, voire une journée avec cette hypothermie, ma mère devait être morte d'inquiétude !
Mon cœur se mît à battre par à coup, à l'idée de ne plus pouvoir revenir dans la belle forêt enneigée, et de ne plus recevoir ma dose de liberté quotidienne.

- Monsieur, savez-vous quelle heure il est ? lui demandais-je un peu stressée.

- Non je l'ignore ma chère, je peux vous raccompagner chez vous si vous le désirez.

- Ça serait gentil, merci, lui souriais-je poliment.

Il se leva alors de son siège, pour partir dans une direction où je le perdis de vue, dans le couloir très sombre caché derrière son fauteuil. Je me levais également du mien, les jambes flageolantes.
Je le vis revenir avec ma veste kaki, qui semblait sèche. Il vint m'aider à l'enfiler, et alla prendre sa cape à capuche noire sur le porte manteau non-loin de là.
Il prit également son bâton verni, et ouvrit la porte de sa bâtisse.

- Les dames d'abord.

Je sortis alors par la porte en bois, non sans un sourire timide, pour atterrir dehors. Alors voilà où il habitait. Une petite maison plutôt chaleureuse, au beau milieu des arbres qui s'en écartaient de quelques mètres, comme craintif du maître des lieux ; il est vrai que c'était discret.
Je ne voyais pas du tout où est-ce que nous nous trouvions. C'était bien la forêt, mais je ne savais pas où, à l'intérieur. Je fus très surprise de voir qu'il faisait nuit, étais-je là depuis plus de temps que je ne le pensais ?

- Par ici jeune fille, m'interpella-t-il déjà face à une direction.

Je m'étais mise alors à le suivre en silence. J'étais vraiment perdue, et j'étais vraiment inquiète. Ce fameux stress intense qui nous envahi lorsque nous savons que nous risquons d'être puni de la pire des façons, c'était bien lui.

Je relevais lentement mon visage rougi par le froid après mes songes, qui devaient avoir volé une bonne partie de la marche. Je réalisais soudain une chose, je ne connaissais même pas son prénom.

- Monsieur, excusez-moi encore, mais puis-je vous poser une question ? brisais-je le silence.

- Bien sûr, dites-moi ce qui vous trotte dans la tête, répondait-il toujours dans sa marche.

- Puis-je connaître votre nom ?

- Je me nomme Morgan, et vous, quel est votre nom ?

- Je m'appelle Elisa.

- Charmant prénom, si je puis me permettre, pourquoi marchiez-vous sur le lac gelé ? Il est pourtant évident que c'est d'un grand danger.

- Je sais bien, je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça, mais je l'ai vite regretté, lui répondis-je, le faisant légèrement ricaner.

- Je n'en doute pas, j'avais même peur que sa fraîcheur vous ait tuée, je suis d'ailleurs étonné que ce ne soit pas le cas.

- Moi aussi, soupirais-je.

- Vous savez, vous ne devriez pas traîner ici la nuit, ce n'est pas toujours sûr, la preuve, vous avez failli perdre la vie.

- Je sais mais c'est comme ça, ce n'est pas parce que c'est dangereux que j'arrêterais.

- Je vois... Alors je ne peux que vous souhaiter bonne chance, me disait-il avant de se tourner vers moi, étant donné que nous étions arrivés devant ma maison.

- Merci encore monsieur, lui souriais-je nerveusement, embarrassée à présent.

- Je vous en prie. Dépêchez-vous, ou vous risquez de subir quelques remontrances, me souriait-il à son tour en désignant la maison.

- Je ne risque pas d'y échapper, soupirais-je.

- Ne vous en faites pas pour ça.

- Très bien, alors, merci encore, à une prochaine fois, le saluais-je.

- En espérant ne pas vous retrouver au fond du lac.

Je lui offris un sourire gêné, avant de partir en direction de ma maison, le ventre tordu par l'angoisse.
Je commençais à grimper le long de sa hauteur, pour finir par entrer par ma fenêtre, silencieusement.
Je retirais ma veste et l'accrochais à mon portemanteau, puis allais me glisser sous mes couvertures.

Je sentais que demain j'allais subir quelques remontrances comme l'avait dit Morgan.

Gardien de lune - Le disque d'or Où les histoires vivent. Découvrez maintenant