Chapitre VIII- À néant

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3 Octobre 2016

8h

De nouveaux visages pénétrèrent la salle à manger. Une grosse femme, suivie de quelques bambins, venaient se mêler au petit tas de faces inconnus réfugiés chez les St-Jean. Ils sont tout mouillés, le corps maculé de boue, le visage noyé d'incertitude. On n'y prêta pas attention. La femme et ses enfants s'installèrent dans un coin, la peur aux tripes.

La porte d'entrée se referma dans un claquement sonore, poussée par le vent. Les regards se convergèrent tous vers le lieu du bruit La tension sembla s'accroître sur chacun. On ne parlait quasi pas. On attendait dans le silence que s'achève le cauchemar, se souciant guère de ce que serait le lendemain.

Il n'a fallu que quelques heures. Quelques heures pour que ces gens côtoient de près l'enfer. Surpris dans leur sommeil par l'eau montante. Aux environs de 6h du matin, la tempête a pris de nouvelles proportions. Le vent s'est fait plus violent et les lames ravageuse de la mer se sont propagées sur la côte. Les maisonnettes en bois et en pite, n'ont pas su résistés aux assauts des forces de la nature. La demeure de la bonne femme n'a pas fait long feu, non plus. Dans le noir, et dans les épaves de son ancien vaisselier, son jeu de couvert porcelaine, qui depuis tout temps faisait sa fièreté de femme au foyer, les vêtements délavés de son homme, la brave femme prit sur son dos ses trois pauvres diables et mit les pieds dans l'eau en crue, en direction de la demeure en haut du carrefour. Là où elle espérait trouver sa trève.

Quelques voisins ont été premiers a quémander refuge dans la seul maison en béton du quartier. À mesure que s'étaient défilés les minutes, d'autres arrivants, dont elle, se sont incrustés, sans grand souci des bonnes manières ou usages. Tout ce qui importait, c'était de survivre. Après l'on penserait à comment faire pour continuer à vivre.

"J'ai peur maman..." marmonna l'un des gamins à la grosse femme, assise à même le sol. Celle-ci fit mine de ne pas avoir entendu. Elle fixait des points invisibles sur les murs. Étaient ils à l'abri ici? Se demandait elle à chaque fois que le grondement du vent se frayait un chemin à travers les petites brèches de la porte. Un son apocalyptique envahissait la pièce, comme si la mort se tenait là, de l'autre côté, les guettant tout et chacun.

- Maman? Qu'est ce qui se passe?... Est ce le Bon Dieu qui nous punit?

Les yeux du petit garçon s'humidifiait. Toujours aucune réponse de la part de sa mère.

- Maman... Papa ne viendra pas? Son bateau n'a pas accosté hier soir?

La femme dans un sursaut, osa enfin jeter un regard vers l'enfant. Comme si elle venait enfin de prendre conscience de quelque chose.

Le bateau de son mari aurait dû accoster depuis hier matin en effet. Mais ils n'ont eu aucune nouvelle de lui, ni de sa nièce, depuis l'heure du départ. Aucun signe de vie. Le pire était à prévoir, mais elle avait du mal à le réaliser. Elle a perdu son mari, sa maison, l'oeuvre de toute sa vie en lambeaux. Il n'aura fallu que de quelques heures pour que son existence soit réduite à néant.

L'enfant se mit à chialer. La mère aurait voulu en faire autant, mais trop... trop d'émotions se butaient dans sa tête. Alors elle l'observait sans trouver les mots pour le consoler, tout comme Cavé appuyé contre l'entr'baillement de la porte de la cuisine. Il observait ces visages inconnus obnubilés par la tristesse. Impuissants, ils étaient. Alors ils ne disaient rien, parce que quelques fois, les mots eux aussi sont impuissants. Quelques fois, des mots ne suffisent pas.

"Ils ont tous perdu quelque chose... proches, maisons, terres...marmonma une voix derrière Cavé.

Il se retourna en sursaut. C'était Nadine. Il ne l'avait pas vu accéder à la cuisine. Quelques secondes plus tôt, elle faisait passer des tasses de thé amer dans l'assemblée, pour calmer les nerfs, disait elle, apaiser la peur; et maintenant elle était debout, toute raide derrière lui, entourée d'un chandail. Elle tremblait légèrement.

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