La nuit tombée, les deux frères St Jean s' écroulaient possédés par la fatigue. Bien qu'ayant avoué à son frère, qu'il ne savait pas s'il pourrait dormir. Richard monta s'allonger, question de se dégourdir les jambes et faire disparaître de sa tête les pensées glauque qui y faisaient sans cesse surface.
Les souvenirs de la journée, des corps sans vie des naufragés les hantaient encore. Ils ne pouvaient y échapper.Le corps em pommade, Cavé se laissa choir sur une chaise déplacée de la salle à manger. Le temps d'une journée, sa nonchalance habituelle s'était retrouvé à rude épreuve. Il peinait encore à ne pas craquer, tant ces cadavres vus réveillaient en lui de douloureux souvenirs.
La maison paraissait encore plus vide ce soir. La famille endormie, seul le bruit des aller retour des vagues de la mer à quelques mètres d'ici venait perturber le silence. Encore ce bruissement si doux et intolérable à la fois. Il résonnait plus fort, ce soir. Était ce dû au fait que n'existait plus la barrage de maisonnette qui logeait auparavant le rivage. Le spectacle de ce matin lui revenait incessamment en mémoire: Décombres, eau, et boue. Voilà ce en quoi s'était transformée la ville des Requins après la tempête. Le mauvais temps acheva ce qu'ont commencé les hommes par leurs entêtements.
Depuis certaines années, ce furent les arbres les premiers à disparaître sous l'invasion des coups de machette irréfléchi des paysans ayant abandonné la terre au profit d'un héritage gratuit . Et voilà que s'envolaient aussi les restants de la plaine. Les hommes eux même avaient été fauchés. Ne restait plus qu'à voir un beau jour, la terre elle même, s'envoler en éclats si rien ne se faisait. Il fallait une révolution se disait il... En dehors de cela, nous pourrions continuer à ramasser nos guenilles de vies et continuer à subsister dans nos épaves en attente d'une prochaine catastrophe... naturelle, un soulèvement populaire que quelques sous lancés sous la table arriverait à calmer, d'une nouvelle crise, d'une nouvelle tuerie ou d'un renouvellement d'une politique de terre brûlée. Il fallait une révolution de quelques manières que ce soit. D'une révolution où chacun sans exception auraient des comptes à régler...voilà! Oui, c'est cela. Emputer pour de bon la gangrène, sans anesthésiant.
Cavé demeura dans la cuisine un bout de temps, se rassasiant incessamment de ses pensées idéaliste avant qu'il ne décide de monter prendre une douche, se débarasser de cette odeur de chair putréfiée qui lui collait à la peau. Il faisait tout pour ne pas y penser. Mais dès qu'il fermait les yeux, se présentait à lui la face défiguré des morts, les pleurs désespérés d'une femme, et le désarroi d'un fils. Pourriture, c'était ce que nous étions tous destinés à devenir
Voici, que revenait le chant insolent des vagues pour la lui rappeler. S'engouffrant dans la douche, il ramassa un seau et repris les escaliers vers le bas, traversa la salle à manger et fit glisser le loquet, qui fermait de l'intérieur, la porte de la cuisine menant à la cour.Le pénombre planait sur chaque centimètre carré de la cour. Il n'y vit d'abord rien et dû rester là, au pas de la porte, quelques minutes, à fixer le noir. Puis il se mit à marcher, s'enfonçait pas après pas dans les ténèbres. Une main tendue par peur de tomber ou de percuter un mur qui se serait trouvé là, par hasard; Et de l'autre tenait le seau vide.
Sa vue épousant peu à peu les courbes et les silhouettes de la noirceur, il devina immédiatement dans l'ombre, le tronc recourbé de l'oranger... ce qu'il en restait. L'arbre nu se dressait faiblement dans la nuit tel un malheureux atrophié au dessus du bassin.
Avec précaution, le jeune homme fit glisser la couverture en tôle qui recouvrait le réservoir en béton. L'intention, c'était d'éviter de faire du bruit. Mais le métal coulissa contre le mur dans un bruit aigu qui allerta ses sens, pris d'un soudain affolement.
Il détestait se sentir faible. Et bien malheureusement pour lui ce soir, son sentiment de vulnérabilité se fit bien plus que présent. Il avait peur du noir, certainement. Une petite faiblesse que la traversée d'une adolescence précocement tourmentée à l'âge adulte n'a pu vaincre. Il avait peur du noir des espaces ouverts, autant qu'il craignait le jugement des autres, autant qu'il craignait la capitale meurtrière et sauvage ou les mauvais souvenirs du lieu, qu'il tentait d'oublier.Le récipient sombra sous l'eau opaque. Il eut du mal à le tirer hors du bassin. Mais lorsqu'il réussit, il le ramena à terre, dans un "ouf" de soulagement. Il s'apprêtait à rentrer. Soulagé d'en finir avec cette tâche qui le mettait en si mauvaise position. Mais un bruit étouffé attira son attention. Il se redressa hâtivement, l'oreille aux aguets, les yeux se cherchant un repère dans le noir, à l'affut du moindre signal d'alarme.
Il demeura dans cette position quelques dixièmes de secondes, et se sentant idiot, il reprit d'une main ferme le récipient d'eau.
Le bruit se renouvla. Cette fois ci, il en fut certain. Ce ne pouvait être nulle autre chose que des bruits de pas. Ils venaient d'en haut. De la bananeraie en agonie sur la butte. Une seule idée ne réussit à faire surface de sa cervelle: "courir, courir, s'éloigner!" Mais ses jambes ne répondait pas. Il n'y arrivait pas. Il se sentit soudainement observé. Son esprit apeuré, lui faisait il des scénarios paranoïaques?
Ses poumons se compressèrent . Il avait soudainement, du mal à respirer. Mal à la tête. Et durant un instant, il se retrouva cinq ans plus tôt, dans un Port-au-Prince envahi par ces mêmes ténèbres, neuf heures du soir. Il rentrait chez lui, ou chez son frère plus précisément, chez Richard. Une "deux pièces" crasseuse, situé au bas d'une cité puant le mal être.
C'était l'un de ces nuits semblables à celles où, Richard absent, fatigué de rester seul, Cavé se serait retrouvé dans l'entr'jambe consolateur de Zézé. À vider dans sa crevasse de roulure, toute la frustration de la semaine passé. Mais ce soir là, il a préféré laisser couler son dépit dans la bouteille. Il titubait, son compagnon de beuveries aux trousses. Celui l'ayant initié aux plaisirs éthyliques. Un companon d'université. Un visage banale. Un visage à jamais figé dans ses démons.
Ce fut une nuit des plus noir. Nuit qui vira du trouble des sens au rouge sanglant. Cette couleur écarlate brouillait encore devant sa vue. Une odeur de fer oxydé, le goût brûlant de la boisson bénite sur sa langue, lui revenaient d'un coup. Les souvenirs revivifiaient la peur endormie.
"Cavé?... Cavé!..." héla pour la seconde fois, une voix, qui lui parut d'abord comme un écho au lointain.
-...Qu'est ce qui t'arrive? Questionna Richard, lui jetant des coups d'œil incrédule dans le pénombre.- Je... euh-je. Bégaya Cavé, revenant brusquement de sa torpeur, la gorge nouée et les mains encore tremblants.
- Qu'est ce que tu fais là, tout seul?
- Je... je venais prendre de l'eau.
- Tu parles de cet eau là... ironisa Richard, pointant du doigt le sceau duquel coulait l'eau au sol. Il ne l'avait pas vu tomber, se rendit il compte.
-...laissses moi t'aider, t'as l'air secoué.
Sur ce, Richard prit en main le réceptacle renversé face contre terre. En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, il le remplit à nouveau d'eau. Et réengagea de direction vers la maison.
- Tu devrais te reposer frérot. T'en a trop vu, en une seule journée. Même pour un mec aussi solide que toi, cela peut devenir déboussolant.
Cavé se laissa traîner derrière son frère, les yeux fixés sur la butte. Encore cet impression d'être observé aux trousses. Les arbres mourrant avaient pris l'aspet de silhouettes menaçantes. Richard pressait le pas. Insouciant, semblait il. Mais Cavé le présentait: son calvaire à lui, venait de renaître. Ces douloureux souvenirs, longtemps ensevelis au fin fond de sa mémoire, ont refait surface. Comment les faire taire à présent?
VOUS LISEZ
Papillon Noir
ParanormalElle lui a appris l'amour... Elle lui a appris l'ivresse... Elle a été la première... Mais il n'est qu'un homme comme les autres. Et elle, un rêve inaccessible. Qu'arrive t il alors, quand nos plus doux fantasmes deviennent... Réalité!!! -Papillon n...