Chapitre I- Le retour

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Quatre ans plus tôt

Le camion dévala avec force la petite pente raide menant jusqu'à l'entrée de la ville tandis que le vent frais de la matinée attaquait le visage nus et fatigués des passagers à l'arrière. Cavé appuyé contre le fer froid de la banquette avait une pleine vue sur l'entrée de la ville. Toute la nuit, il n'avait pas dormi afin de surveiller les deux sacs de voyage à ses pieds, car il était courant de perdre ses bagages sur le trajet des Cayes,à la Ville des Requins.
Les passagers aux doigts un peu plus long que l'ordinaire, ne rataient pas d'occasions, vous fermez les yeux une seconde et cela leur suffit à vous enlever jusqu'à vos sous-vêtements.

Six heures et demie et le grand soleil du sud s'étendait sur la côte.
L'automobile arrivait jusqu'à la gare de la ville endormie et Cavé en profitait pour voir si tout était en place, là où il les avait laissé un matin comme celui ci, quand il partit, avec ses rêves de réussite, clôturer ses études secondaires et entamer l'agronomie à Port-au-Prince.

Cela faisait déjà trente minutes que Richard de retour depuis le début du mois l'y attendait, sous la galerie en bleu de "Chez Rita restaurant", du côté du bord de mer.

Le camion s'arrêta de l'autre côté de la route. Après quelques minutes, les premiers passagers à terre galéraient déjà pour retrouver leurs sacs de provisions, attachés à l'avant du camion. Richard chercha parmi la petite foule qui se formait, le visage de son frère. Celui ci était là, à l'avant de la locomotive à discuter avec le chauffeur. Au même moment Cavé se tourna dans sa direction. Sur son large visage chocolaté se dessina un sourire réjoui. Il était heureux de rentrer au bercail.

Richard à grande enjambées se retrouva déjà devant lui et le serrait dans ses bras. Cela ne faisait pas plus de dix jours qu'ils ne s'étaient pas vu et pourtant son petit frère, son grand ami, le manquait énormément.

« Comment à été ton voyage frérot.»

- Fatiguant mais bien. J'ai eu du mal à trouver un transport qui arriverait jusqu'ici, la route a été difficile et le camion a pris panne à plusieurs reprises.

- Il faudra que le gouvernement penses un jour à faire ces routes oui. Débutait Richard, qui ne se lassait jamais de discuter de problèmes sociaux et politiques.

Son frère prenait souvent à coeur tout ce qu'il disait et avait toujours des remarques intéressantes à faire, c'était peut-être ce qui faisait qu'ils étaient si proches même en étant si différents. Richard, idéaliste par occasions, un peu romantique et philosophe, grand "radoteur" devant l'Éternel. Cavé plus réaliste par opposition, toujours calme, on devinait difficilement ce qu'il pensait ou était sur le point de faire, mais tous deux portaient un fond de patriotes bléssés et c'était ensemble qu'il partageaient leur peines et leur rêves. Mais aujourd'hui, là, n'était pas ce qui intéressait Cavé, il rentrait chez lui et voulait goûter pleinement à son sentiment de bien-être.

- Ne nous faisons pas d'illusions. Nous sommes à l'autre bout du pays, crois tu vraiment qu'ils se souviendront de nous alorsqu'ils n'arrivent même pas à construire la capitale! À part ça, comment vont les gens? As tu eu le temps de visiter?

-Non, je t'attendais et maman a terriblement envie de te voir.

-Tant mieux dans ce cas. Dépêchons nous, l'envie est partagée.

Richard le déchargea de ses sacs et ils prirent ensemble le sens inverse de celui tracé par le camion jusqu'à la grande maison à étage crème au pied de la bute tandis que Cavé en profitait pour analyser le paysage de La ville des Requins, tout en se rémémorant les mauvais tours que lui et son grand frère prenaient plaisirs à jouer aux chauffeurs de camions dans le temps. Après dix années, il ne s'attendait pas à tout retrouver comme avant. Rien n'avait changé, la maison de la famille Bien-aimé en face du carrefour était toujours en rose saumon, le vieux manguier n'avait pas perdu de sa verdure et le local du petit restaurant chez Rita où ensemble les deux frères venaient souvent griller du poisson les soirs de Noël, avait résisté aux assauts des temps mauvais. Même le vieux Hervé continuait à faire le trafic d'içi aux Cayes.

Mama Dodo les attendait sous la tonnelle de la petite boutique. À la vue de ses deux garçons, elle s'élança dans leurs direction dans ce qui voulait paraître une course de joie; Mais ses os étaient à présent vide et ses muscles affaiblis, en dépit de ses longues promenades à nus pieds, tous les matins jusqu'au marché et de ses bains de soleils matinales, le temps avait eu raison de son enveloppe corporelle. Et ce qui devait arriver, arriva: la vieillesse!

Elle s'agrippa au cou de Cavé, des larmes menaçant de couler de ses frêles paupières plissés. Dix ans avait passés. Dix années qu'elle avait vu s'écrouler plus lentement que le temps de la genèse d'une galaxie. Dix années où elle avait désespérément attendu la visite de son enfant cadet. Pourquoi ne l'avait il pas fait? Pourquoi n'avoir pas donné signe de vie pendant cent-vingt  mois,  quatres cent quatre-vingt un semaines et ces trois milles six cent cinquante jours. Elle aurait voulu savoir mais son coeur de mère ne pensait plus qu'à prendre dans ses bras l'être qu'elle avait porté pendant neuf mois, le couvrir de baisers, de questions et peut-être bien après de reproches.

Elle caressa les joues creux de son fils.
Il ne fallait pas qu'elle pleure! Non, elle n'était pas un bébé. Elle était une bonne vielle dame bien pétrie d'expérience. Elle faufila ses doigts dans sa petite masse cotoneuse de cheveux crépus. Il ne fallait pas qu'elle pleure! Pas devant son enfant qui était aujourd'hui un homme! Elle posa sa tête fatigué contre son torse ferme. Oui! Son fils était devenu un homme. Et elle n'avait pas été là pour le voir devenir. Trop tard, l'eau salée noyait déjà son visage épuisé et son coeur lassé de fermeté venait d'abandonner. Elle pleurait!

« Il vient à peine d'arriver et tu voudrais déjà le tuer maman!... lança Richard, pour le plaisir de gâcher le moment.
... Tu le serre tellement que tu vas finir par l'étouffer»

Mama Dodo se décida enfin à lâcher Cavé et s'efforça de sourire. L'instant n'était pas au larmes, il fallait fêter, son fils prodigue était de retour!

« Kote papam?» ( est mon père?) questionna Cavé lorsqu'il put reprendre son souffle.

- Ah! Tu connais bien le tempérament acariâtre de ton bon vieux père. Ce nègre orgueilleux ne voulait pas que tu saches à quel point il était impatient de te revoir, alors il est parti aux terres. Tu aurais dû le voir, ces dix derniers jours: il est à la fois nerveux et souriant à longueur de journée. Il semblait un peu colérique et en doute, je crois qu'il craignait qu'on n'annonce que tu ne pourrais plus venir comme les années précédentes.

Le visage de Cavé s'attrista un peu. Il reconnaissait dans le discours de sa mère cette pointe de reproche silencieuse. Il aurait dû venir les voirs de temps en temps mais il ne l'avait pas fait. Pourtant, le temps n'était pas ce qui lui manquait. Il bénéficiait souvent de congés après ses examens de sessions à l'université. À chaque fois que Richard le persuadait de le faire. Il y renonçait, à la dernière minute, appelant quelqu'un pour annoncer qu'il ne pourrait plus venir.

« Mais bon! Rentrons! Je t'ai préparée tes plats préférés: un gros lot poisson grillé, rien que pour toi! De la patate frite et un bouillon de malangas. »

- Du poisson grillé! S'exclama Richard et prenant par la taille la vielle dame. Rien que pour nous tu veux dire!

Le petit trio éclata de rire.

Le soleil qui commençait à devenir plus chaud, réchauffais la toiture en tôle de la boutique rendant l'intérieur infernale. Mama Dodo sortit donc sa chaise basse en paille jusqu'à la cour du côté. De là elle pouvait avoir contrôle sur ses marchandises et en même temps éviter de griller elle aussi comme les poissons dont il était question.

- Va te changer mon fils. D'ici là, je crois que Nadine aura fini de de mettre la table et ton père rentré.

Richard encaissa les valises de son petit frère pour l'aider à les porter jusqu'à sa chambre où ensuite il les abandonna à ses soins.

- Bon! Je te laisse. Je suis en bas! Si jamais t'a besoin de moi.

- Ok. Pas de problème.

Sa chambre avait soigneusement été arrangé, pas une once de poussière ne reposait sur les meubles. Les deux battants de la grande fenêtre en face du lit était largement ouverts afin d'offrir passage au soleil et au vent frais des arbres de la cour.

Et ce soir, par elle, passera le papillon noir qu'il avait espéré ces dix années. Il se posera sur son lit et quand au plus profond de la nuit ses yeux se fermeront, son papillon noir l'emmènera jusqu'à elle: la reine de ses  premiers fantasmes, sa préceptrice de volupté.

Papillon NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant