Chapitre 9 - Un village...

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     Nous avions froid. L'hiver nous guettait avec ses espions, les nuages gris, avec les arbres dénudés, ou encore avec le givre matinal. En plus du froid qui nous rongeaient de l'intérieur, moi et ma famille - du moins, ce qu'il en restait... - étions minés dans nos cœur.
   La guerre n'épargnait personne, même pas les civils...

    Verdun, janvier 1916. L'hiver battait son plein. Notre maison tenait le coup, puisque notre secteur était calme. Je n'avais pas été incorporé dans l'armée : j'étais trop jeune, selon eux. J'avais dix-huit ans tout juste, de décembre dernier. Donc seize lors de la mobilisation générale d'août 1914. J'avais insisté auprès de ma mère. Elle avait refusé, évidemment. Elle ne voulait pas perdre un homme de plus dans un combat, qu'elle voyait comme sombre, oppressant... Et désormais, j'étais de son avis.
   Nous avions eu de la chance, jusqu'ici. Notre demeure était l'une des seules à tenir encore fièrement debout. Ma petite soeur, Charlotte, n'avait que six ans. Parfois, en pleine nuit, elle se mettait à hurler à la mort. Elle faisait des cauchemars à propos de Papa, parti au front lors de la mobilisation générale. Elle le voyait mourir sous les mitrailleuses des Bosch, d'après ce qu'elle nous racontait, à ma mère et moi... Ce qui avait le don de me faire frisonner, à chacun de ses récits.

    Je n'étais pas encore majeur. Il me fallait encore attendre trois autres années. Je ne pouvais donc pas recevoir les devoirs de mon père parti au front, même si j'étais le seul homme de la maison. Mais en contre partie, je devais m'occuper des champs, à l'aide des femmes et adolescents de mon âge. Mon père n'était pas le seul à être parti dans cet engrenage meurtrier. Mon oncle, mon grand père, mon cousin, avec qui j'étais d'ailleurs très proche. Ce Léon là, il n'y en avait pas trente-six.
   Il avait vingt-trois ans et déjà fait son service militaire. Sa dernière lettre remontait à deux semaines environ. Il n'était pas très loin d'ici, aux Bois des Caures, me semblait-il... A quelques kilomètres. Mais impossible de se voir, évidemment.
Il allait bien, de ce qu'il nous disait. Il était dans le même régiment que Gabin, mon père. Lui, s'était déjà fait blessé. À la jambe : une balle l'avait frôlé. Mais rien de grave, sa vie n'a pas été en jeu. J'avais aussi un ami, là bas. Mon meilleur amis... Mais je recevais moins de nouvelles de lui. Je savais que c'était un dur, et qu'il tiendrait le coup jusqu'au bout. Nous avions de la chance. En tout cas, plus que d'autres...

    J'étais assis, là, dans mon salon. J'avais entre les mains toutes les lettres que nous avions reçues. Je venais de les relire, n'ayant rien d'autre à faire. Je pensais. Quand cette fichue guerre va-t-elle se terminer ?
   Soudain, je fus tirée de mes pensées par la voix de ma mère, provenant de la cuisine.

   –   Hadrien ! Va donc chercher le journal, s'il te plaît ! L'argent est sur la table, sert toi.

   Je me servais, sans prendre compte de la valeur exacte que je prenais. J'enfilai aussi la grosse veste de Papa, qu'il m'avait laissé avant de partir...
   Mais ce n'est pas tout ce que j'avais de lui. Je possédais aussi une clé. Oui, une clé. Toute petite. Dans ma poche. Je n'ai jamais su a quoi elle servait, ni ce qu'elle était sensée ouvrir. Je me souvins juste des mots que mon père m'avait glissé dans l'oreille, avant de se diriger vers le wagon bourdonnant :

   –   Surtout, ne la perd jamais. Garde la toujours près de toi, comme un porte bonheur. Je serais avec toi si tu gardes ça près de toi.

   Je lui avais hoché la tête, entre deux larmes. Je l'avais serrée dans le creux de ma main, et avait murmuré dans un souffle étouffé par la tristesse :

   –   Je te le promets.

* * *

    Je me souviendrais longtemps de ce moment là. Sûrement durant ma courte vie. Maintenant, j'avais hâte qu'il revienne, comme Léon.
Maintenant, je marchais sur la fine couche de neige. La rue était parfois jonchée de débris, çà et là. J'avais l'habitude de les voir, désormais.
   Alors, je sentis un coup de vent glacial ébouriffer mes cheveux châtains. Zut ! J'avais oublié de mettre mon bonnet ! Je me ferais rouspéter en rentrant, je le sentais bien...
   Mais j'en m'en fichais pas mal, de tomber malade. Ce n'était rien, la maladie, à côté de ce qu'endurait les Poilus, dans les tranchées, à l'heure qu'il était...

Domini temporis [ sous contrat d'édition ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant