Je rentre directement à l'appart après m'être occupé de Nino. J'ai des choses à régler, et ça doit se faire maintenant, pendant que j'en ai encore le courage.
Je laisse Nino mastiquer son foin et j'entre en trombe dans la cuisine. Mon père est en train de déjeuner. En revanche, aucune trace de ma mère. Dommage, c'est sûrement à elle que j'en veux le plus.
"Où est maman ?"
Mon père hausse les épaules.
"Elle n'était plus là que je me suis réveillé. Je pense qu'elle est partie faire un tour.
- Bien, tant pis, je vais commencer sans elle. Qu'est-ce que vous foutez ici ?"
Mon père soupire et pose sa tasse de café.
"Je ne peux pas te parler de ça sans ta mère.
- Oh, mais elle est absente, comme toujours."
Le ton que j'emploie s'avère blessant, mais je ne retiens pas mes émotions, et encore moins ma colère. Mon père soupire à nouveau et me regarde droit dans les yeux, la première fois depuis le début de cette conversation.
"Écoute, si tu dois t'en prendre à quelqu'un, déchaîne-toi sur moi. Mais pas sur ta mère.
- Et pourquoi ça ? Si je me souviens bien, elle a toujours été contre tous mes projets, alors je ne vois pas pourquoi je la ménagerais.
- Parce que je peux encaisser les remarques blessantes venant de ma propre fille. Pas elle."
Je tape sur la table du plat de mes deux mains. Ma colère est lisible dans mon regard, et je sais que j'impressionne mon père à l'heure qu'il est. Il ne me reconnaît sûrement pas, mais je n'en ai strictement rien à faire.
"Parce que tu crois qu'après l'enfance qu'elle m'a fait endurer je vais la ménager ? C'est très mal me connaître ! Ah mais j'oubliais, vous ne me connaissez quasiment pas !"
Je vois qu'il prend sur lui pour ne pas me hurler dessus, alors que je ne me gêne pas. Il prend une grande inspiration, et il se remet à parler, sur un ton posé.
"Ta mère a toujours eu le don de se cacher dans les mauvais moments."
Je fronce les sourcils. Et évidemment, ma mère choisit ce moment là pour entrer dans la cuisine avec nous. Je les regarde tous les deux, dans l'incompréhension.
"Pourquoi est-ce que j'ai l'impression que je devrais comprendre quelque chose que je ne comprends pas ?"
Ma mère vient s'asseoir à côté de mon père, et celui-ci passe un bras autour de sa taille, comme pour la soutenir.
"Je suis venue, Elsa. J'étais là, à chacun de tes concours. Je cachais ma joie quand tu gagnais, et ma tristesse quand ça n'allait pas. Je t'ai toujours suivie. J'ai persuadé ton père de te laisser continuer le cheval, de te fournir tout ce qu'il fallait pour que tu évolues vite. Je me dit toujours que j'aurais dû me montrer, venir te féliciter en personne. Au lieu de ça, je rentrais le plus vite possible avant que quelqu'un ne m'aperçoive. Et je faisais mine de ne pas connaître tes résultats du week-end, alors que j'y avais assisté."
Je déglutis.
"Pourquoi... Pourquoi tu n'es jamais venue m'en parler ?"
Je vois des larmes se former au coin de ses yeux, et je m'en veux. Jamais je n'aurais cru que je pourrais blesser une femme comme ma mère.
"Tu avais une telle colère en toi. Au début, je n'y croyais pas, je me suis dit que ça te passerait, que tu arrêterais de monter. Mais tu n'as jamais arrêté. Au contraire, tu as évolué, et tu as toujours pensé que j'étais contre le fait que tu fasses des concours. En fait, j'avais peur de venir te voir pour te féliciter en personne. J'ai été idiote, mais j'ai pensé que ça serait mieux pour toi si tu y arrivais de toi même, sans notre soutien. Je me suis dit que tu ressentirais plus de mérite, et que ta colère contre nous finirait pas s'atténuer.