Je ferme mes jambes pour entrer en piste. Je suis la dernière cavalière à passer, tout repose sur mes épaules. Pour ce dernier rendez-vous, Nino est particulièrement en forme.
Aujourd'hui, Nino fera ses adieux à la piste, après la remise des prix de la finale coupe du monde du CSO, sur cette mythique piste de l'Accor Hotel Arena, qui n'a pas accueilli l'équitation depuis une dizaine d'année. Gagner cette coupe, devant notre public français, ce serait le meilleur des cadeaux que nous pourrions nous offrir avec Nino, pour notre dernier concours. Du haut de ses 18 ans, il n'a pas encore commencé à faiblir, mais je sais que ça ne devrait pas tarder. Je préfère l'arrêter avant que ça arrive. J'ai envie de finir sur quelque chose de bien, et ne pas le forcer à aller au bout, sachant qu'il irait jusqu'au bout de sa vie si je lui demandais.
"Et oui vous l'avez reconnu, mesdames et messieurs, ce couple entièrement français qui est notre dernier espoir de marseillaise pour cette coupe du monde ! On ne peut même plus retracer leur palmarès, ils ont tout gagné, ils sont champions du monde l'année dernière, et l'année d'avant, champions olympiques également, que demander de plus ? Ils sont venus remettre leur titre en jeu cette année, Elsa, êtes vous prêtes à le céder ?"
Je secoue négativement la tête en souriant au jury, qui a bien saisi pourquoi j'étais là.
"Avant de donner le départ à ce couple mythique, j'aimerais rappeler que, quelle que soit l'issue de cette épreuve, peu importe l'hymne que nous entendrons à la remise des prix, peu importe quel cavalier fera péter le champagne, le cheval qui est en piste actuellement, Nino, fera ses adieux au monde du CSO de haut niveau après la remise des prix. A 18 ans, il est temps pour ce champion de se retirer de la compétition. Mais à présent, Elsa, Nino, il est temps que vous nous montriez de quoi vous êtes capables. Si vous êtes sans-faute, c'est la victoire assurée. Bonne chance Elsa, bonne chance Nino !"
La cloche sonne. C'est parti mon Nino, c'est notre dernier tour. Je place mes aides de départ au galop, et c'est parti. Je demande un changement de pied, qu'il m'exécute à la perfection, et je peux aborder mon premier obstacle. Le silence autour de nous est assommant, et la tension est palpable.
Je ferme mes jambes quand j'arrive devant le premier oxer, et Nino attaque sa barre, comme il sait si bien le faire. Il part sur une foulée merveilleuse, et me sort un saut merveilleux. Aucun doute, Nino est encore en grande forme. Je peux continuer mon tour avec une totale confiance en mon grand cheval bai, ce cheval qui m'aura tout offert. Les difficultés du parcours de championnat se montre bien vite. Mais ce n'est qu'une formalité pour Nino. Il survole les obstacles fragiles sans même les effleurer, et il couvre sans peine les oxers d'une largeur improbable. Il n'effleure même pas une seule barre. Il est fantastique, en pleine forme.
Le triple arrive. Je sais qu'il a été très fautif. Les deux verticaux séparés d'une foulée pour l'entrée son très fragiles, encore une foulée, puis l'énorme oxer de sortie, que beaucoup de chevaux ont eu du mal à couvrir, fatigués par leur week-end de championnat.
Mais j'ai confiance en Nino, je sais qu'il en est capable, et qu'il est encore bien loin d'être fatigué.
Je rentre dans le triple, Nino survole les verticaux. Je fais un appel de langue entre le deuxième vertical et l'oxer, et je sens Nino rassembler toute sa force sous lui pour faire un énorme bond sur ce gros oxer. Résultat, il ne l'effleure même pas. Je le caresse après cette difficulté, puis j'amorce la fin de mon tour. La dernière ligne a elle aussi été très fautive.
Gros oxer, puis quatre foulées, un double de verticaux, une ligne courbe et un vertical sur palanque. Le contrat de foulée est réglé à seule fin que les chevaux avancent sur leur barre. Le risque pour les chevaux est de se mettre à plat en avançant, et finir par se prendre soit le double de verticaux, soit la palanque.