Le fou rire

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Ce matin, quand mon réveil sonne, je n'ai qu'une envie : le balancer par la fenêtre. Mais je me contente de l'éteindre et de me retourner pour me rendormir. Seulement Mystery, mon chaton, ne l'entend pas de cette oreille. Il m'a vue, et est décidé à me faire bouger de gré ou de force. Alors il me lèche la figure pour me faire bouger. Je tiens 10 secondes avant de le repousser et de me lever. Saloperie de bestiole. Je jette un regard froid à mon reflet dans le miroir de la salle de bain devant laquelle je passe pour descendre jusqu'à la cuisine. J'entre et m'installe à la table. Maman m'a préparé mon petit-déjeuner avant de partir au boulot. Sur la table, elle a laissé un petit mot, comme à son habitude.

« Ma chérie, je te souhaite une bonne journée. Travaille bien, mais n'oublie pas de lier des liens avec d'autres gens. Les années de lycée sont les plus belles, profite de chaque jour ! Je t'aime bisous

PS : papa ne vient pas te chercher ce soir, prends l'argent pour le bus dans le pot à petite monnaie. »

Le post-scriptum veut aussi dire que je vais passer la soirée toute seule, parce que mes parents seront tous les deux au boulot. Par ailleurs, j'ai une sainte horreur du bus, ça me stress. En général, je ne suis pas une grande fanatique de la foule. Super. Cette journée commence merveilleusement. J'avale mes tartines et mon thé et remonte prendre ma douche. Je m'observe à nouveau dans le miroir. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde se fout de moi : en fait, sans vouloir me vanter, je suis bien foutue, et plutôt jolie. Mais bon, pas la peine de s'attarder sur mon physique. Je me lave, m'habille, et puis sort de la maison. Et là, je réalise un truc : si mon père ne vient pas me chercher au lycée ce soir, il faut aussi que je prenne le bus ce matin. Je n'y avais pas pensé et il est la demie passée. Trop tard. Et merde, il ne manquait plus que ça. Mon sac sur le dos, mon Ipod sur les oreilles, je me mets à courir vers le lycée. Cela fait quelques années que je fais de l'athlétisme. J'ai un bon rythme cardiaque, et je suis rapide. J'ai aussi, dieu merci, le reflexe de toujours avoir un T-shirt de rechange sur moi (ça date d'un accident de mousse au chocolat qui m'a traumatisée en primaire). Alors, comme toujours quand je cours, je me fous du reste du monde et je me concentre. Je cale mes respirations sur mes pas, je déplie mes jambes sans effort. Dans mes oreilles, la finale de Das Sound Machine dans Pitch Perfect 2 me pousse à mon maximum. Je l'ai mise en boucle. En quelques minutes, j'arrive au lycée. Je suis loin d'être en retard, mais je suis consciente que ce que j'ai fait était dangereux. D'habitude, je ne sprinte pas à froid, comme ça. Mon prof me l'avait fortement déconseillé... En plus, ma mère n'aime pas que je sois toute seule dans les rues, tôt le matin. Je file aux toilettes pour me passer un peu d'eau sur la figure, remettre du déo et changer de T-shirt. Quand je ressors, Machin (appelons le comme ça pour plus de commodité) passe devant la porte pour aller aux toilettes des garçons juste à côté. En me voyant il s'arrète, me regarde, et sourit.

« Quoi ? je lui demande, un peu piquée.

- Rien. Tu es vraiment douée, franchement.

- Heu... Sans vouloir te vexer, je ne pige rien de ce que tu dis... »

Je réalise que je lui parle comme à un vieux pote alors qu'on s'est parlé 2 fois... Ça me fait bizarre, mais je prends confiance en moi. J'ai presque envie de me faire des amis ce matin.

« Je t'ai vu courir ce matin. Tu as dépassé mon bus. Et là, tu sors des toilettes comme s'il ne s'était rien passé. Honnêtement, tu m'impressiones, Victoria. »

Devant son air admiratif, je ne sais plus quoi dire. Alors je tente le tout pour le tout. Ou bien je fais un flop, ou bien je me fais un ami. Je lance, en prenant un air supérieur et en rejettant mes cheveux derrière mes épaules :

« Normal, j'ai naturellement la classe !!!!

- Je vois... »

D'abord, en le regardant se retourner et repartir, je me dis que je suis vraiment très très très stupide. Et puis il se tourne vers moi, hilare.

« Comment tu fais pour rester sérieuse ? Moi, j'y arrive pas !!!! »

Il m'a demandé ça entre deux hoquets, et je me mets à rire à mon tour. Les larmes coulent sur nos joues, c'est nerveux. Quand la cloche sonne, on est encore en train de rire, et ni lui ni moi n'arrive à s'arrêter. On va se ranger devant notre salle en pouffant comme deux gamins. On se calme enfin en entrant en classe. Je réalise que je n'avais jamais autant ri avec quelqu'un d'autre que ma petite cousine Lilou. On s'installe l'un à côté de l'autre en évitant que nos regards se croisent, parce qu'on sait que si ça arrive, on explose tous les deux. À un moment, je sens son regard se poser sur moi, alors, en me mordant les joues pour ne pas rigoler, et en continuant de regarder le prof de maths, je fais une énorme grimace. Et là, il s'effondre sur sa table, secoué de rire. Le prof nous regarde, et demande ce qui se passe. Sur le moment, prise de court, je m'en veux parce que je sais que c'est lui qui va prendre. Alors, pour la deuxième fois, je me lance.

« Mathias ne se sent pas bien, monsieur. Est-ce que je peux l'accompagner aux toilettes pour qu'il se raffraichisse, s'il-vous-plaît ? »

J'ai dit ça avec un air un peu inquiet et parfaitement crédible, si bien que le prof n'y voit que du feu. De toute façon, il est trop concentré sur ses formules pour réaliser que je l'embrouille, ni vue ni connue. Il hoche la tête et reprend son cours. Je me lève et mon camarade en fait autant. Il se tient le ventre de façon très crédible. Peut être parce qu'il a vraiment mal, à force de rire... On sort de la salle, on avance encore un peu et mon « malade » lève les yeux vers moi. Il pleure à nouveau de rire, et un sourire étire son visage. Il n'en peut plus, le pauvre. Et là, je fais un coup vraiment bas, pour l'achever. Je prends une voix d'infirmière et je lui demande :

« Ça va mieux ? »

Je reconnais que c'est vraiment cruel, mais je n'ai pas pu m'en empêcher... Le pauvre s'effondre littéralement sur moi. Il hurle de rire et me regarde avec des larmes plein les yeux.

« Putain, arrète, tu vas me tuer !

- C'est le but, mec !

- Bah c'est réussi ! Non mais sérieux, comment tu fais pour ne pas rire ? Tu viens de baratiner un prof et de me faire mourir de rire par la même occasion, et tu fais comme si rien ne s'était passé... C'est quoi ton truc, Victoria ?

- Je me mords les lèvres. Et je suis passée maîtresse dans l'art de raconter des histoires...

- Ça se voit ! Tu es vraiment impressionante ! Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme toi... »

Il s'arrète soudain de rire et me fixe droit dans les yeux. Il a retrouvé son air un peu grave. Et, tout à coup, il se passe quelque chose de bizarre. J'ai follement envie qu'il se penche vers moi et qu'il m'embrasse. Je me sens stupide. Sous pretexte que je m'entends bien avec un garçon, je commence déjà à me faire des films. Alors je baisse les yeux, et je dis, comme une imbécile :

« Maintenant que tu es à nouveau calme, on retourne en classe ? »

Il hoche la tête et on fait demi-tour. Quand on arrive devant la porte, il me barre la route et me plaque un baiser sur la joue.

« Merci Victoria. Sans toi, je me serais pris une énième heure de colle. »

Je bafouille un truc incompréhensible et rougit. Il sourit et ouvre la porte. On va s'asseoir à nos places et on termine le cours comme s'il ne s'était rien passé. Ni lui, ni moi n'osons un mot.

De toutes mes forcesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant