Mon père

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J'éteinds le poste et m'effondre sur la table... Mon père... Mon père y était, selon ma mère. Elle est allé voir, et me demande d'aller en cours, normalement. Quand elle a entendu les infos, ils n'ont pas du dire qu'il n'y aurait pas cours aujourd'hui. Je reste ebettée sur ma chaise. Le monde s'écroule autour de moi. Brique par brique. Plante par plante. Tout s'effondre, et ma vie entière me semble soudainement vide. Je suis là, inutile, sur une chaise, dans une cuisine, alors que mon père est peut-être mort, ma mère cherchant à le reconnaître parmi des dizaines d'autres cadavres. Peut-être est-il méconnaissable, à cette heure, parce qu'après une explosion... Je me jette sur l'évier et revomit le peu que j'ai mangé depuis hier midi. Je reste ainsi, pleurant et crachant, au dessus de l'évier. J'entends frappé à la porte. Déjà, je m'imagine la police, venant m'annoncer la mort de mon père et le suicide de ma mère. Ou les pompes funèbres. Ou encore les terroristes eux-même. Je suis incapable de bouger, je tremble. Je tombe sur le sol. Je n'ai plus de forces. J'entends la porte qui s'ouvre, en grinçant, comme d'habitude.

« Victoria ? Tu es là ? »

Je connais cette voix, mais je n'arrive pas à mettre un visage dessus. Je sais juste que ça n'est ni mon père ni ma mère. Je gémis, et me mets soudain à hurler, plus fort que je ne l'ai jamais fait. C'est plus que bestial, ce n'est pas humain. Ça sort de moi sans que je puisse rien faire, ça me panique, ça me brûle, mais je hurle. Des pas se rapprochent en courant, et Joachym déboule dans la cuisine. Il est rouge, d'avoir couru jusqu'ici, sans doute. Il baisse les yeux sur moi, s'accroupit à mes côtés. Il me prend dans ses bras, et me berce doucement, en me tenant tout contre lui, malgré mes hurlement et mes pleurs qui se mêlent. Au bout d'un moment, très lentement, je commence à me calmer. J'arrête progressivement de hurler, mais les larmes coulent en continu. Il murmure des mots au creux de mon oreille, et me demande :

« Ton père, il y était ? »

Je hoche la tête, comme une enfant, avant de m'effondrer à nouveau sur son épaule. Je ne comprends pas pourquoi il est là. Je me souviens d'avoir parlé de mon père hier, mais je ne sais plus ce que j'ai dit... Je bugue. Pourtant, il est là, bel et bien là. Il m'entoure de ses bras, me soulève du sol, et sort de la cuisine en me portant. Il me pose délicatement sur le canapé, retire son sweat, et l'étale sur moi, comme une couverture.

« Écoute-moi, m'ordonne-t-il. Je vais rester là jusqu'au retour de ta mère. J'ai prévenu la mienne. Tu es d'accord ? (je hoche la tête) Bon... Tu as mangé ? (je secoue la tête) OK, il faut que tu prennes quelque chose. Je m'en occupe. Tu as froid ? (hochement) Je vais essayer de te trouver une couverture. Je t'interdis de te lever. Tu restes ici, tu ne bouges pas, d'ac ? (hochement).»

Il s'éloigne vers les escaliers, monte, monte encore, et redescends avec ma couverture sur le dos et Mystery dans les bras.

« J'ai trouvé ta couette et une bouillotte vivante. Je vais faire à manger, pour que tu avales quelque chose. Tu as des enceintes ? »

Je les lui montre du doigt, tremblante, incapable de dire un mot. Il sort son Ipod, et le branche dessus. Il allume la musique. Et là, je me rends compte qu'il a mis mon Ipod, en fait. Il devait traîner quelque part, il l'a trouvé et branché... J'ai envie de l'embrasser. Enfin, je veux dire, de lui faire un bisou, pas un baiser. Tout s'embrouille dans ma tête. Je ferme les yeux, et laisse la musique entrer dans mon crâne et se déverser. Et je pleure doucement, sans bruit. 

Une odeur d'œufs emplie mes narines. Je me rends compte que j'ai faim, soudain. Normal, je n'ai pas mangé depuis hier midi... Au bout de quelques minutes, Joachym revient avec un plateau composé d'œufs aux plats, d'un bol de céréales, de lait, bref d'un vrai petit-déjeuner. Il le pose sur mes genoux et essuie mes larmes.

« Mange, Victoria. Au pire, tu auras quelque chose à revomir, au mieux, ça ira après. »

J'avale une bouchée, une autre, lentement. J'ai un haut le cœur, et me précipite vers l'évier. Je recrache le peu que j'ai mangé.

« Oh mon dieu, je souffle. Je suis vraiment désolée, Joachym. Tu peux rentrer chez toi si tu veux. Je suis lamentable, là.

- C'est pour ça que je suis là, Victoria. Les amis sont là aussi quand ça ne va pas. Alors ne t'inquiètes pas, ok ? Je vais appeler ta mère pour lui dire que je suis avec toi, et que tout va bien de ton côté...»

Il retourne dans le salon, prend mon portable et appelle ma mère. Il la rassure, lui dit qu'il est avec moi, que non, je ne vais pas bien, mais qu'elle ne s'inquiète pas, qu'il veille sur moi. Il raccroche et revient vers moi. Il prend ma main, machinalement, sans y penser, et me demande si j'ai besoin de quelque chose. Je baffouille un truc ressemblant au mot bain. Il hoche la tête, monte à l'étage, et j'entends l'eau couler. Au bout d'un petit moment, il redescend.

« Tu n'as pas besoin de moi, hein ? Non, parce que là, c'est au-dessus de mes capacités, désolé. Mais je peux appeler quelqu'un, si tu en as besoin.»

Il a l'air un peu gêné. Je le rassure, en ébauchant le premier sourire de la journée. Il soupire, soulagé, et je monte à l'étage. Il m'a fait couler un bain brûlant. Je me déshabille, et rentre dans l'eau. Ça me fait un bien fou, alors je reste jusqu'à ce que l'eau soit presque froide. À ce moment-là, je ressors, enfile un peignoir, et monte dans ma chambre. J'attrape un vieux jogging en toile, et un T-shirt trop grand. Je redescends. Joachym est allongé au milieu du salon, les bras en croix, les yeux fermés. Je le regarde, et vais finalement me blottir contre lui. Il me serre à nouveau dans ses bras. Il n'est ni mon frère, ni mon petit copain, ni un simple ami. Il est le garçon qui a couru en pensant que je pouvais ne pas aller bien, qui sacrifie sa journée, qui s'occupe de moi alors que je vais mal, qui est à mes côtés à un des moments le plus dur de mon existence. Et ce garçon, je m'en rends compte à présent, est unique. On reste comme ça un bon moment, couchés sur le sol, blottis l'un contre l'autre, à écouter mes musiques défiler. Je sais que ce moment-là restera gravé dans ma mémoire pour toujours. 

Alors quand il se relève, le brisant à jamais, je dois me retenir pour ne pas pleurer. J'ai froid soudain sans ses bras autour de moi. J'ai envie de le retenir, qu'il m'enlace encore, pour toujours, s'il le veut. Mais je n'ose pas... Alors je me relève aussi, branlante sur mes jambes. Et je sens qu'il faut que je bouge. C'est primordial, comme une obligation. Si j'avais été dehors, j'aurais courru. Mais je suis dedans. Je m'approche des enceintes, monte le volume, et mets la finale des Bellas dans le second Pitch Perfect, un bon gros medley girly. Et je danse, seule dans mon salon. Je lâche les vannes, je laisse libre cours à mes émotions, les laissant s'exprimer. Le monde entier tourne avec moi, comme une musique envoutante. 

De toutes mes forcesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant