Prologue (3/3) - Le grenier

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La porte du grenier s'ouvrit avec un grincement sinistre, révélant des ténèbres glaçantes et oppressantes. A tâtons, Daisuke chercha en vain un éventuel interrupteur des deux côtés de l'ouverture.

« On va devoir y aller à l'ancienne », déclara Matsuda en sortant son smartphone de sa poche et en activant l'application lampe torche.

Un visage sinistre à la peau rouge et aux yeux dorés lui fit alors face, pointant vers lui son nez proéminent et découvrant ses dents acérées.

« Bon sang ! s'exclama le jeune homme.

— Oh, relax, dit Daisuke en allumant à son tour le flash de son téléphone. C'est juste un masque de Tengu. Et c'est pas le seul. »

Il enveloppa les alentours du halo aveuglant émis par le smartphone. Diverses figures issues du folklore japonais les observaient, alignées sur les côtés, comme pour les accueillir dans leur antre.

« La vache, ça m'a foutu une de ces trouilles, lança Matsuda en donnant un léger coup sur le nez allongé du Tengu, déclenchant une avalanche de poussière et de toiles d'araignées. Qu'est-ce que c'est que cet endroit ?... »

Les deux jeunes hommes firent quelques pas au milieu des masques, statues, parchemins et autres ornements qui semblaient avoir été disposés là depuis des années. Yōkaïs, Onis, Kamis, toutes les différentes catégories de monstres, de démons, de dieux et de personnages légendaires y avaient leur place. Corbeaux géants, renards à neuf queues, hydres à huit têtes, loups blancs ou noirs, lapins et poissons lunaires, ou encore les fameux dragons-serpents formaient une foule incroyablement hétéroclite et les submergeaient de leurs auras presque palpables.

« Je savais pas que ton père était branché mythologie, dit Matsuda.

— Moi non plus, répondit Daisuke. Et quand on y regarde de près, tous ces machins sont recouverts d'une épaisse couche de poussière et plusieurs générations d'araignées ont eu le temps d'y tisser leurs toiles. Je pense que personne n'est venu ici depuis des années.

— Alors, c'est quoi ? Un héritage de famille, passé de père en fils ?

— Aucune idée, mes grands-parents ne sont plus de ce monde, donc je ne pourrais par leur demander. Bon sang, mais jusqu'où cette pièce peut bien s'étendre ?

— Bah... Si elle occupe l'intégralité des combles de la maison, vue la taille de la baraque, je pense qu'on a encore pas mal de divinités ancestrales à rencontrer.

— C'est n'importe quoi, houspilla Daisuke. Je ne sais pas si mon père était particulièrement fan de tout ce folklore, mais il était terriblement respectueux des traditions, des codes d'honneur, et toutes ces conneries. Et ça, tout ça, toute cette pièce... C'est trop chaotique pour lui ressembler. Regarde ici. Les démons des Enfers côtoient les habitants de la plaine céleste, avec à côté d'eux une estampe d'un Tengu sur le mont Fuji. Ça n'a absolument aucun sens.

— C'est pas faux, approuva Matsuda. La seule chose un tant soit peu ordonnée dans cette pièce, c'est cet espèce de chemin qu'on suit depuis tout à l'heure, tout juste assez large pour laisser passer une personne à la fois au milieu de tous ces monstres.

— Oui... C'est vrai. Ce n'est sans doute pas là par hasard. Continuons de le suivre, il doit y avoir quelque chose au bout. »

***

« Décidément, ton père est le roi des déceptions. Je m'attendais vraiment à un coffre rempli de lingots, ou à une statue en or massif d'Enma le roi des Enfers. Mais alors là... »

La sombre route des deux archéologues improvisés était barrée par un imposant byôbu, un paravent décoré à six feuilles.

« Qu'est-ce que c'est que cette histoire, ronchonna Daisuke. On n'a même pas atteint le milieu de la pièce. Qu'est-ce que ce truc fout là ?

— Il est peut-être tombé ici, suggéra Matsuda.

— Et il serait tombé debout, et se serait parfaitement aligné pour nous barrer le passage ? En plus, regarde... C'est la seule œuvre qui ne soit pas couverte de poussière. »

Daisuke passa sa main sur le mur de vent et en contempla les ornements. Diverses scènes et décors avaient été peints sur la soie qui recouvrait les panneaux du byôbu, et de longues colonnes minutieusement calligraphiées semblaient en conter l'histoire.

« Alors, on fait quoi ? demanda Matsuda.

— J'en sais rien, répondit Daisuke en toute honnêteté, tandis qu'il continuait de parcourir le paravent des yeux. C'est marrant...

— Quoi ?

— Tous les autres machins dans cette pièce... Les démons, les dieux... Même nous qui ne sommes pourtant pas franchement du genre traditionnel, nous les connaissons à peu près tous.

— Oui, parce qu'ils font partie de notre culture, qu'on nous a raconté toutes leurs histoires quand on était gamin, et qu'on les retrouve même souvent dans la culture populaire. Et alors ?

— Non, rien, je me disais juste que... L'histoire sur ce paravent, je n'en ai jamais entendu parler.

— Ah bon ? Fais voir. C'est quoi le titre ? »

***

La berceuse argentée - Gin'iro no Kumori-utaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant