2. L'hymne noir (3/3) - La révolution

28 7 0
                                    


Quelques mois plus tard, Kurotaiyō Ran, enveloppée dans une combinaison noire optimisant son agilité et sa furtivité, armée de couteaux, de grappins, de jittes, de shurikens et de kunaïs, s'infiltrait au cœur de l'un des château fortifiés les mieux gardés du Japon.

A mesure qu'elle progressait dans les couloirs des tours de la forteresse, elle entonnait la chanson de ses souvenirs, devenue pour elle le symbole de son soulèvement. Ses mouvements étaient rapides, précis et silencieux, et aucun des gardes en armure qui se mettaient en travers de sa route ne put l'arrêter. Ses lames lacéraient leurs points faibles, ses projectiles les aveuglaient, ses bombes les neutralisaient.

Quand elle le pouvait, elle tentait de ne pas les tuer. Ils n'étaient pas sa cible. Tout comme elle, ils n'étaient que les pions d'une grande partie de shōgi que jouait l'homme assis au sommet du donjon central. Malheureusement, le code d'honneur que suivaient ces samouraïs les poussaient à se battre jusqu'à la mort, et elle savait que même si elle ne les achevait pas, ils le feraient eux-mêmes tôt ou tard.

Etage après étage, victime après victime, pas après pas, note après note, elle finit par atteindre la plus haute pièce de la plus haute tour du château, où elle s'arrêta de chanter. Tapie dans l'ombre de l'entrée secrète de la grande salle, elle attendait et observait.

Le Daimyō Shirotsuki Jun était assis au centre, accompagné d'un jeune samouraï en armure. Ce dernier enfilait son casque et s'adressait au vieillard sur un ton cérémonieux.

« Ne vous en faîtes pas, Seigneur. Je ne compte pas laisser cet intrus pénétrer dans cette salle. Je vais aller l'attendre et le confronter directement. Avec un peu de chance, j'aurai l'élément de surprise avec moi. »

Après un bref échange, le fougueux jeune homme s'échappa au pas de course à travers l'entrée principale de la pièce. Ran était à présent seule avec le Daimyō, celui qu'elle avait tant cherché.

« Vous êtes ici, n'est-ce pas ? » demanda alors ce dernier à haute voix.

Prise de court, Ran se figea sur place en écarquillant les yeux. Elle fit une pause et réfléchit. Elle avait terrassé tous les gardes expérimentés qui lui avaient barré la route. Après tout, il ne pouvait rien contre elle. Elle fit quelques pas en avant et s'approcha du vieil homme.

« C'est un brave jeune homme, poursuivit-il. Mais c'est un entêté. Il n'a pas remarqué que la mélodie s'était arrêtée. En me fiant à mes oreilles, qui je le crois, sont en meilleur état que mes yeux, je me suis douté que vous aviez, par je ne sais quel moyen, trouvé l'entrée secrète de cette salle. »

Elle se planta devant lui et l'observa. Il était vieux, beaucoup plus qu'elle ne l'avait imaginé. Elle songea qu'il devait en réalité être plus jeune qu'il ne le paraissait, mais que les regrets et le tourment qu'elle l'avait entendu évoquer avaient dû le marquer physiquement autant que moralement.

« Je vous prie de m'excuser, continua le vieil homme. S'il avait été là, il aurait cherché à me protéger à n'importe quel prix, et je ne souhaitais pas le voir mourir pour moi. C'est un brave jeune homme, et sans doute ne me pardonnera-t-il jamais de m'être ainsi joué de lui. »

La main de Ran tremblait sur la poignée du couteau attaché à sa ceinture. Elle avait projeté cette scène dans son esprit des dizaines de fois, et jamais elle n'aurait pu penser qu'une fois le moment venu, elle aurait hésité ainsi.

« Je suis prêt », dit-il enfin.

Ran l'était aussi. Elle fit un pas en avant et extirpa lentement sa lame de son fourreau. Elle la brandit entre elle et le vieil homme, mais son bras refusa d'abattre le coup fatal.

La berceuse argentée - Gin'iro no Kumori-utaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant