2. L'hymne noir (2/3) - Le départ

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Les années passèrent. Le vieux couple éleva l'enfant avec tout l'amour qu'ils n'avaient jamais donné à ceux qu'ils n'avaient jamais eus. Lorsqu'ils furent affaiblis par les poids des ans, Ran décida de s'occuper de la chasse et de la pêche. Dès l'adolescence, elle développa d'extraordinaires capacités à se montrer furtive, rapide et précise. Plus elle grandissait, plus elle parvenait à traquer les bêtes les plus féroces des forêts alentours.

La jeune femme qu'elle était devenue était heureuse, vivant de peu de choses, loin des tracas du commun, et aimée de ses parents adoptifs. Mais elle ne pouvait empêcher cet étrange sentiment de gonfler en elle, une envie d'aventure, d'exploration. Une envie de voir le monde, de le fouler de ses pieds et d'aller à la rencontre des peuples qui y habitaient. Heiji et Minako, qui avaient fui ce monde dans leur jeunesse, et qui avaient eu un triste rappel de sa cruauté lorsque la mère de Ran était venue frapper à leur porte, tentèrent de la dissuader de partir.

Malheureusement, le temps les rattrapa. Minako fut la première à partir, lorsqu'une mauvaise toux eu raison de sa constitution fragile. Heiji ne tarda pas à la retrouver, terrassé par la fièvre provoquée par une malencontreuse blessure au bras s'étant infectée. A présent seule dans la cabane au cœur des bois, Ran avait décidé que plus rien ne la retenait. Elle avait emballé le peu d'affaires qu'elle avait, et avait quitté la montagne.

Durant les années qui suivirent, la jeune femme traversa de nombreuses contrées, fit halte dans de nombreux villages, et rencontra de nombreux habitants. Elle parla avec des hommes, des femmes, des enfants, qui lui racontèrent l'histoire de leur village, de leur région, et du pays. Ils lui contaient les légendes et les fables, lui montrèrent les monstres, les démons et les créatures magiques qui émerveillaient ou terrifiaient les enfants, lui décrivirent les trésors, les temples et les dieux qui faisaient la richesse de leur culture.

Mais ses yeux remplis d'étoiles devant ces enchantements furent également témoins de la terrible cruauté de la réalité.

Sur son chemin, elle croisa la route de nombreux peuples ayant été violentés, torturés, massacrés par les guerres territoriales auxquelles se livraient les seigneurs féodaux. Lorsque ces victimes évoquaient les flammes dévorant leurs maisons et le sang de leurs maris et de leurs femmes, de terribles images venaient à l'esprit de Ran, comme si des souvenirs enfouis au plus profond de sa mémoire refaisaient surface. Elle voyait des monstres de feu danser autour d'elle, elle sentait les cendres et le sang, elle apercevait une silhouette sombre et massive pointer une arme vers elle, elle entendait une douce voix chanter une berceuse envoûtante tout près d'elle pour la rassurer.

Sa curiosité ayant été satisfaite, Ran partit en quête de vérité. Elle reprit le chemin de la montagne où elle avait grandi et se renseigna sur les villages des environs. Au cours de son périple, elle ne pouvait s'empêcher de fredonner cette mélodie qui ne quittait plus son esprit. Finalement, lorsqu'elle se fut remémoré l'intégralité de la chanson, elle retrouva également le village où elle était née. Ou du moins, ce qu'il en restait.

Ran marchait en silence au cœur des ruines qui avaient été ancrées dans sa mémoire alors qu'elle n'était encore qu'un bébé. Les cendres avaient été balayées par le vent, les corps avaient été emportés et dévorés par des animaux sauvages, mais le spectre de la Mort régnait toujours sur cet endroit qui semblait en tout point maudit. Rien n'avait poussé, rien n'était né, rien n'avait vécu ici depuis près de trois décennies. Debout au milieu des décombres, Ran serrait les poings avec fureur. Pendant toutes ces années, elle avait cherché un sens à sa vie. Elle venait de prendre une décision qui allait lui en donner un.

***

La berceuse argentée - Gin'iro no Kumori-utaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant