Scarlet Princess Tome 2: Ténèbres

Chapitre XVII: La déclaration d'Alexia

-Votre Majesté...

Le jeune homme d'une vingtaine d'années mit un genou à terre. Il avait mit sa veste de travail qui lui donnait plutôt une bonne mine.

Le roi, paisiblement posé sur son fauteuil, pria son épouse Kalliope assise sur ses genoux de sortir un instant. La reine lui accorda un sourire conspirateur avant de se lever dans un froissement de soie. Elle posa sa main fine sur l'épaule large du vieil homme et chuchota d'une voix suave :

-Comme convenu, mon cher époux ?

-Comme convenu, ma très chère...

Et elle sortit.

Wescovin, debout dans l'ombre, fit un pas vers son grand-père, posa ses coudes sur le dossier du fauteuil couvert de velours.

-Relève-toi, jeune homme.

Le désigné exécuta, et rapporta :

-Tout est arrangé, votre Majesté. Avec toutes les précautions, son Altesse Floralyn ne possédera jamais le trône.

-Même avec son talent d'Estre ? voulut s'assurer le chef d'État.

-Elle sera à vous, votre Majesté. Ayez confiance. Même si, devant les yeux du peuple ce sera une épreuve légitime, vous pourriez en disposer à vos grés.

Le roi acquiesça. Si les Sept affirment avoir reconnus Floralyn lors de la capture de Melwis, alors elle doit être son héritière, et par conséquent possesseur du fameux pouvoir qu'il traque depuis des siècles. Celui qui il permettra de devenir immortel...

-Tu souhaites vraiment l'épouser ? lança-t-il à son petit fils. Il est vrai que c'est un bien beau parti, mais je ne voudrais en aucun point te forcer à...

-Ne vous inquiétez guère, grand-père, dit-il. Et je ne vois guère une jeune fille capable de l'égaler en beauté et en grâce.

Il hocha la tête d'un air grave :

-Vous pouviez disposer, jeune homme. Exécutez correctement vos tâches, vous en serez fortement récompensé.

Ce dernier sortit. Wescovin soupira en posant son mouchoir son sur front :

-Êtes-vous sûr de pouvoir faire confiance à cet insecte?

-Ne t'inquiète pas. Dès qu'il aura terminé son travail, il rejoindra sa feu grand-mère dans sa tombe...

*

Floralyn se blottit dans son fauteuil, finalement lassée de son Dictionnaire des Milles Stratégies. Ce geste attira le regard d'Alexia, qui se rendit compte à quel point sa sœur était charmante dans sa robe rouge sombre.

-Aller, courage ! lui lança-t-elle.

Quand il s'agissait de travailler, la rousse était infiniment plus studieuse. Floralyn favorisait les romans plein de rêves et d'aventures. Elle lisait quelques fois des Contes Maléfiques de Minuit, ou d'autres ouvrages de ce genre -qui auraient glacé des os d'une centaine de personnes-, comme s'il s'agissait de l'histoire du Petit Lapin Blanc...

Malgré de nombreux côtés candides, elle possédait une clairvoyance et une intelligence unique dans son genre. Dans une autre vie, peut-être aurait-elle été stratège ? Ou bien inventeur ?

Mais dans cette vie là, son talent et sa créativité ne pouvait être consacrés à ces métiers passionnants.

Alexia secoua la tête, comme pour chasser ces pensées. Penser à tout cela de sert à rien. Quand elle regardait Florys, elle ne pouvait s'empêcher d'envier ce prodige... Mais ce n'était pas une jalousie bien dévastatrice, mais de l'admiration.

-Nan, je n'en peux plus ! protesta la jeune blonde en enfouissant sur visage dans le tapis blanc.

Elle gratta au passage le cou de son animal domestique blanc. Elle l'avait trouvée très jeune, dans une forêt aux alentours du village où elle vivait. C'était une loÿstrall, une espèce de louve gigantesque agile et rapide. L'un des croquemitaines tout droit venu des contes...

-Bon... nous remettrons bien cela une prochaine fois... soupira Alexia, ravie de s'être débarrassée de cette tâche.

-Je ne pense pas que lire nous aidera. Et toi, Alexia, tu devrais songer à te rapprocher de Krus avant de passer les épreuves.

Sa sœur sourit tout en rangeant une mèche couleur flamme derrière une oreille.

-Oui... il faut bien qu'il le sache. Mais j'ai bien peur qu'il ne veuille plus me voir quand il prendra connaissance de mes sentiments. Et qui portera-t-il mon amour jusqu'à lui?

Floralyn rapprocha sa chaise de celle de sa sœur pour pouvoir lui prendre la main.

-Tu respectes bien trop le protocole, sœurette... allez vous promener, puis tu t'arrêtes et le lui dis ! Ne te prends pas trop la tête. Tu ne lui est pas indifférent.

-Je suis trop indécise... Je vais essayer, mais...

-Alors essaie. Propose-lui une promenade demain. Tu es une Estre, à présent.

Alexia approuva. Quand on devient un Estre, le statut social ne dépend que de la puissance. Peu importe notre âge, que l'on soit un homme ou une femme. Elle pouvait donc se déclarer sans que cela semble inconvenable.

-Flo ? J'ai un service à te demander... Demande-lui de m'accompagner au parc de la cour, avant souper.

Floralyn sourit démesurément : enfin une distraction pour son ennui !

*

Le garçon se rendit compte qu'un jardin de glace était tout de même assez triste. Seuls pour l'égayer, des enfants se pourchassaient en glissant sur le bassin gelé.

-... et alors, Weskovin nous a escorté jusqu'à père. Je préfère de loin Acadmyr à Liore. Il fait trop froid à mon goût.

Krusla dirigea son regard vers son amie :

-Quand allez-vous y retourner ?

-Pas avant l'épreuve des Prétendants... sauf s'il est annulé. Père viendra pour nous voir défendre le trône.

-Il me tarde de le revoir. Nos pays sont ennemis, mais malgré cela, il reste mon parrain...

-Ne dis pas cela ! le coupa la jeune fille, élégante dans sa robe de satin décoré de rubans dorés, rappelant son pays adoré. Il t'aime, tu le sais.

Elle se retourna. Il n'y avait personne. Les enfants avaient courut suffisamment loin pour qu'on n'entende plus le chahut joyeux et le souffle du vent emportant tout secret.

Alexia se mit sur la pointe des pieds, et, d'une voix éraillée, lui souffla :

-Tout comme moi...

Krusla se raidit. L'aimait-elle tel un frère... ou tel un amant ? Il secoua la tête, ne voulant pas s'égarer dans des pensées inconvenables. Mais il comprenait très bien le sens des paroles de son amie.

Il savait ce qu'elle voulait, aussi.

<<Réponds, voyons... ce n'est guère poli devant une demoiselle...>>, le railla Zelriasfer, qui admirait le spectacle depuis le tout début.

Le garçon eut envie de le jeter dans la cheminée de sa chambre... Mais en vérité, il appréciait plutôt ce démon, qui le poussait vers l'avant.

<<Le véritable amour est bien rare, cher maître... et tu risques de regretter beaucoup cette jeune fille étonnamment courageuse. >>

Krusla ferma ses yeux, et pesa ses mots, avant de dire :

-Si tout ce passe comme prévu, Alexia. Sinon, cela sera impossible.

Celle-ci hocha la tête.

-Merci... je ferais de mon mieux... pourtant...

Sous le crépuscule aux teintes orangées, le vent furieux les traversa, emportant un cri de douleur.

Son amour, sa vie, son destin. Tout pouvait lui sourire, comme pouvait l'abandonner.

-Pourtant... j'ai peur... d'échouer !

Le médaillon à double faces... de quel côté penchera-t-il ?