Chapitre 43

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Le soleil se coucha enfin, quand les assiettes furent vidées. Floralyn avait quitté la table la première, sous prétexte de vérifier que les fenêtres étaient ouvertes... alors qu'il n'y en avait pas dans cette petite auberge familiale où elles étaient troquées contre du papier huilé.

-Je vais faire ma toilette de ce pas, déclara Wensraël en repérant le regard furtif de Krusla vers la direction de Floralyn. Puis, je rédigerai la lettre à mademoiselle de Chegovia.

Krusla opina, reconnaissant de sa compréhension. En sortant de la petite salle à manger, il posa sa main sur son épaule. Puis, il entra dans une petite chambre à la porte ouverte, en dosant avec légèreté chacun de ses pas. Sans doute avait-il l'impression que le moindre bruit pouvait briser le merveilleux qui s'étendait sous ses yeux.

Assise sur le bord en bois pourri de la fenêtre, une jeune fille contemplait le palais qui se situait à plusieurs rues de là, comme si elle n'avait pas peur de tomber. Ses longs cheveux plus éblouissants que le ciel d'or rose lui étaient arrachés par le vent plus froid que frais d crépuscule, mais elle ne rentra pas pour se couvrir. Soudain, la jeune fille frissonna. Une paire de mains s'agrippèrent d'un coup sur ses épaules et une voix grave et enrouée laissa paraître un soupçon d'amusement :

-Cambriolage !

Elle attrapa l'une de ces mains et retourna sa tête. Ses yeux bleus se fondèrent dans l'or pâle de ceux du garçon.

-Ta main est froide, observa celui-ci, qui toussa pour regagner sa voix normale. Koff...koff... u ne veux pas rentrer ?

-Le soleil va se coucher !

Le garçon soupira et la couvrit de son gilet.

-Je ne savais pas que notre petite rêveuse s'attachait tant à un coucher de soleil ! Taquina-t-il en la décoiffant de sa main aux doigts fins.

Il s'attendit à une réponse, qui ne vint pas. Alors, il suivit ce regard bleu vers le soleil qui se noya rapidement à l'horizon, ne laissant qu'une image de sa splendeur orangée. Quelques instants après, Wensraël, qui attendait devant la porte, toqua, avant d'entrer.

-Blaire ! Salua Floralyn, qui n'oubliait pas de dissimuler leur identité.

Ce dernier causa quelques phrases et sortit se coucher. Il hésita, et finalement prit la chambre qui ne comportait qu'un lit simple, leur laissant le lit double qi était a départ destiné aux garçons.

Les deux jeunes personnes restèrent là, immobiles et muets. C'est seulement dans la nuit noire que Krusla souffla doucement :

-Flo ? Il se fait tard... il faut se coucher.

Cette dernière lui lança un regard humide et attendrissant. Attendri, le premier insista, mais cette fois-ci d'une voix hésitante :

-Nous ne pouvons pas nous manquer demain. Ne sois pas aussi enfantine...

Floralyn fit une moue boudeuse :

-J'ai peur de descendre de la fenêtre, j'ai le vertige !

Krusla haussa un sourcil en voyant le petit mètre qui la séparait du sol, puis, après une bataille de regard qu'il perdit sous le regard malicieux de la jeune fille, il la prit dans ses bras la souleva. Il s'immobilisa durant un moment, avant d'agiter ses bras :

-Descends !

Mais Floralyn s'était déjà agrippée à son cou avec une force insoupçonnable pour sa frêle physionomie.

Ne voulant pas la blesser, le rouquin dut se résigner à la porter jusqu'à sa chambre... qui était visiblement occupée par Wensraël qui dormait, étalé en forme de croix, ce qui contrastait gravement avec son maintiens élégant et sa face de poker qui était –pour tous les nobles, symbole de hauteur.

-On est deux, et il reste une chambre de deux... souffla Floralyn dans son oreille.

-Ne me taquine pas... je vais le réveiller.

-Le faut le laisser se reposer, nous ne pouvons pas nous manquer demain. Ne sois pas aussi enfantin, rétorqua-t-elle en reprenant les mots de Krusla, rieuse.

-Si je ne le réveille pas, c'est nous qui ne dormirons pas ce soir.

-Mais ! Si tu ne viens pas, je hurle et je réveille la ville entière !

-Flo !

...

Assis sur le bord du lit, Krusla referma les paupières de Floralyn avec son index :

-Dors.

-...pas, répondit-elle en les ouvrant de nouveau.

Il allait encore réciter un énorme discours composé d'une dizaine d'arguments les plus convaincants-et ennuyeux- que les autres quand une petite main le tira sur le matelas, en faisant sauter un ressort.

-Regardes, tu as cassé le lit ! Maintenant, il ne reste plus assez de place, et il faudra qu'on se serre pour avoir de la place pour dormir ! Feignit-elle de se plaindre.

-Bon, bon... je m'avoue vaincu... mais cette histoire n'ira pas plus loin d'accord ?

-Mais oui... dit-elle, en tirant sur la dernière syllabe d'un air ennuyé.

Krusla n'en était pas si rassuré...

...

Et il avait raison.
Une jambe s'écrasa sur son ventre en pleine nuit. Puis un bras. Puis un corps entier.

Krusla commença à comprendre pourquoi est-ce que Floralyn avait dit « sans toi je dormirai très, très mal » : elle avait besoin d'un matelas vivant ! Il soupira, et la décala en évitant de la réveiller.

« Ne pars pas... c'est peut-être notre dernier... coucher de soleil... », entendit-il marmonner.

Son cœur se pinça, et son regard ensommeillé s'attendit. Il posa la tête de la jeune fille sur son bras et ébouriffa légèrement ses cheveux. Il sentit sa peau s'enflammer, et il fut soudain prit par le désir de se rapprocher encore un peu. Le sommeil lui fit perdre contrôle, et il rapprocha son visage taillé au couteau du sien, et ses lèvres se frôlèrent sur les pétales roses entrouvertes de la jeune fille. D'un coup, une paire d'yeux saphir s'ouvrirent, et il recula d'un bond. Toute trace de sommeil disparut de sa tête.

-Dé...désolé.

Une petite main voulut s'agripper encore, comme une liane insistante, mais il attrapa les poignets de Floralyn, avec plus de force qu'il aurait voulue. Il baissa les yeux pour couper une nouvelle bataille de regard qui se tramait, et ouvrit sa bouche, prêt à réciter encore une fois son discours interminable quand Floralyn le coupa :

-C'est toi qui avais dis qu'on n'allait pas plus loin... l'un de l'autre ! Il faut qu'on se rapproche !

Krusla ne put réprimer un sourire... décidément, Floralyn n'en fera toujours qu'à sa tête... et c'était cette liberté qu'il admirait tant. Dans l'inconscient, ses mains se desserrèrent un peu, et Floralyn, qui sentit ses mains se libérer, poussa un cri de victoire et se jeta sur lui.

La nit fut glaciale et enflammée à la fois.

Scarlet Princess Tome 2: TénèbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant